Poetica, des poèmes d’avenir, du présent, du passé...


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Sélection : poèmes à la une

Il fait novembre en mon âme

Emile Verhaeren
Egon Schiele, Quatre arbres, 1917
Egon Schiele, Quatre arbres, 1917

Rayures d’eau, longues feuilles couleur de brique,
Par mes plaines d’éternité comme il en tombe !
Et de la pluie et de la pluie – et la réplique
D’un gros vent boursouflé qui gonfle et qui se bombe
Et qui tombe, rayé de pluie en de la pluie.

– Il fait novembre en mon âme –
Feuilles couleur de ma douleur, comme il en tombe !

Par mes plaines d’éternité, la pluie
Goutte à goutte, depuis quel temps, s’ennuie,
– Il fait novembre en mon âme –
Et c’est le vent du Nord qui clame
Comme une bête dans mon âme.

Feuilles couleur de lie et de douleur,
Par mes plaines et mes plaines comme il en tombe ;
Feuilles couleur de mes douleurs et de mes pleurs,
Comme il en tombe sur mon coeur !

Avec des loques de nuages,
Sur son pauvre oeil d’aveugle
S’est enfoncé, dans l’ouragan qui meugle,
Le vieux soleil aveugle.

– Il fait novembre en mon âme –

Quelques osiers en des mares de limon veule
Et des cormorans d’encre en du brouillard,
Et puis leur cri qui s’entête, leur morne cri
Monotone, vers l’infini !

– Il fait novembre en mon âme –

Une barque pourrit dans l’eau,
Et l’eau, elle est d’acier, comme un couteau,
Et des saules vides flottent, à la dérive,
Lamentables, comme des trous sans dents en des gencives.

– Il fait novembre en mon âme –

Il fait novembre et le vent brame
Et c’est la pluie, à l’infini,
Et des nuages en voyages
Par les tournants au loin de mes parages
– Il fait novembre en mon âme –
Et c’est ma bête à moi qui clame,
Immortelle, dans mon âme !

Emile Verhaeren, 1891
Les bords de la route, 1895

Sélection : poèmes à la une

L’automne

Chloe Douglas

De boue le chemin est devenu.
Les arbres encore vivement vêtus.
La pluie récente parfume l’air.
Un million de feuilles se couchent par terre.

A la descente de la brume,
le bois secret s’allume.
L’enchantement est divin,
le temps n’a plus de fin.

Errer dans le bois,
voler du passé,
ramasser du thym
gentiment faire du thé.

Rarement le silence reste
dans ce ruisseau fascinant.
Caresser tout le savoir
dans les bras de maintenant.

Chloe Douglas, 1991

Sélection : poèmes à la une

Je rentre

Lucie Delarue-Mardrus

Je rentre. J’ai laissé la ville âpre à nos portes
Avec sa vie obscure et ses longues cohortes.

Après avoir heurté tant de gens et de choses,
Je te retrouve seul dans ton jardin de roses.

Je regarde tes yeux après tant de prunelles
Luisantes, qui portaient toute la fièvre en elles,

Et je sens que mon âme entre dans tes yeux calmes
Comme dans un beau port d’eau tranquille et de palmes.

Lucie Delarue-Mardrus, Horizons, Tendresses, 1904

Sélection : poèmes à la une

Nature en deuil

Sybille Rembard

Vie sacrifiée d’une journée sans soleil
Les arbres tombant, sans feuilles.
Amie de la nature qui juge ce qui n’est pas,
Ouvre ton cœur à l’espoir d’un demain sans nuages,
Tu sais que rien ne te touche, rien que le silence d’une vie
La tienne
Vie sacrifiée, un jour sans toi.

Sybille Rembard, 2008

Sélection : poèmes à la une

Mon rêve familier

Paul Verlaine

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime,
Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend.

Car elle me comprend, et mon coeur transparent
Pour elle seule, hélas! cesse d’être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

Est-elle brune, blonde ou rousse? Je l’ignore.
Son nom? Je me souviens qu’il est doux et sonore,
Comme ceux des aimés que la vie exila.

Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L’inflexion des voix chères qui se sont tues.

Paul Verlaine, Poèmes saturniens

Sélection : poèmes à la une

Les fleurs reviendront

Jules Delavigne

Le printemps est loin, si loin
Les champs sont roses sombres
Dans le fil d’une pensée morbide fluide
Le vieil homme crache, crapote
Comme un cochon il se fera abattre
Le lampadaire tremble dans la nuit effervescente
Les gens crient que c’est la fin du monde
Puis rient car tout n’est pas encore fini
Les fleurs et les odeurs reviendront
C’est sûr
Et on y sera, ou pas

Jules Delavigne, 2010

Sélection : poèmes à la une

Automne

Ondine Valmore

Vois ce fruit, chaque jour plus tiède et plus vermeil,
Se gonfler doucement aux regards du soleil !
Sa sève, à chaque instant plus riche et plus féconde,
L’emplit, on le dirait, de volupté profonde.

Sous les feux d’un soleil invisible et puissant,
Notre coeur est semblable à ce fruit mûrissant.
De sucs plus abondants chaque jour il enivre,
Et, maintenant mûri, il est heureux de vivre.

L’automne vient : le fruit se vide et va tomber,
Mais sa graine est vivante et demande à germer.
L’âge arrive, le coeur se referme en silence,
Mais, pour l’été promis, il garde sa semence.

Ondine Valmore

Sélection : poèmes à la une

Voici que la saison décline

Victor Hugo

Voici que la saison décline,
L’ombre grandit, l’azur décroît,
Le vent fraîchit sur la colline,
L’oiseau frissonne, l’herbe a froid.

Août contre septembre lutte ;
L’océan n’a plus d’alcyon ;
Chaque jour perd une minute,
Chaque aurore pleure un rayon.

La mouche, comme prise au piège,
Est immobile à mon plafond ;
Et comme un blanc flocon de neige,
Petit à petit, l’été fond.

Victor Hugo, Dernière gerbe