Poetica, des poèmes d’avenir, du présent, du passé...


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Sélection : poèmes à la une

Cauchemar

Kamal Zerdoumi
Ayman Baalbaki, 2010
Ayman Baalbaki, © 2010

Dans ta chevelure où dansait la lumière
ondule cette étrange nuit
au mouvement silencieux
froissement des hautes herbes de l’innocence
et ce venin qui l’éteint
Riposte une pluie d’écailles incendiaires
sur les édifices
S’élève des tas de gravats
la fumée des sacrifices
Israël ou Gaza
l’horreur en partage
L’Homme au cerveau reptilien
pourchasse le Sage
De quoi sera fait demain ?

Kamal Zerdoumi, Octobre 2023

Sélection : poèmes à la une

Un soir d’été

Guillaume Apollinaire

Le Rhin
Qui coule
Un train
Qui roule

Des nixes blanches
Sont en prière
Dans la bruyère

Toutes les filles
À la fontaine
J’ai tant de peine

J’ai tant d’amour
Dit la plus belle
Qu’il soit fidèle

Et moi je l’aime
Dit sa marraine
J’ai la migraine

À la fontaine
J’ai tant de haine

Guillaume Apollinaire

Sélection : poèmes à la une

Canicule

Claude Luezior

plus loin, dans la pénombre
des bavardages enfiévrés

toutes eaux perdues
une grenouille radote sa prière

une pie, deux fées translucides
s’inclinent avec cérémonie

aux galets d’un purgatoire
où gisent des soleils calcinés

déjà s’inscrivent sur des feuilles
les mémoires d’une canicule

et pleurent sans larmes
des saules à l’abandon

en cohortes basculent des présages
au seuil de puits asséchés

sous des murailles incandescentes
se consument les broussailles

une torchère traîne au Golgotha
des lambeaux d’horizon

autodafé où se bousculent
siroccos et brasiers indécis

en vain se dilatent des nuages
enceints de grêle et d’éclairs

tandis qu’étincellent en silence
les enluminures des grappes

se gorgent d’alcool et de sucs
des guêpes aux indécentes ripailles

sacristie où l’on prépare
du sang, l’éloquent sacrifice

dans nos chairs, l’été en gésine
paraphe ses ultimes frénésies

Claude Luezior

Sélection : poèmes à la une

Rythme des vagues

François Coppée

J’étais assis devant la mer sur le galet.
Sous un ciel clair, les flots d’un azur violet,
Après s’être gonflés en accourant du large,
Comme un homme accablé d’un fardeau s’en décharge,
Se brisaient devant moi, rythmés et successifs.
J’observais ces paquets de mer lourds et massifs
Qui marquaient d’un hourra leurs chutes régulières
Et puis se retiraient en râlant sur les pierres.
Et ce bruit m’enivrait; et, pour écouter mieux,
Je me voilai la face et je fermai les yeux.
Alors, en entendant les lames sur la grève
Bouillonner et courir, et toujours, et sans trêve
S’écrouler en faisant ce fracas cadencé,
Moi, l’humble observateur du rythme, j’ai pensé
Qu’il doit être en effet une chose sacrée,
Puisque Celui qui sait, qui commande et qui crée,

N’a tiré du néant ces moyens musicaux,
Ces falaises aux rocs creusés pour les échos,
Ces sonores cailloux, ces stridents coquillages
Incessamment heurtés et roulés sur les plages
Par la vague, pendant tant de milliers d’hivers,
Que pour que l’Océan nous récitât des vers.

François Coppée, Le Cahier Rouge

Sélection : poèmes à la une

Chaleur estivale

Sybille Rembard

Sur la plage le parasol fermé pointe au firmament
Ma langue savoure les grains de sel sur mes lèvres moites
Mes pieds s’enfoncent dans le sable chaud
Le sommeil me guette
Le rêve m’attend
Le soleil grandit l’éternité de mes pensées.
Je répète jusqu’à l’hallucination les vers que tu as écrits pour moi,
une nuit à côté des étoiles.
Sous l’astre de l’été
je revis notre amour : colonne ivre du temple de l’éternité
Les saisons se succèdent
Et moi
je crois encore aux feux d’artifices.

Sybille Rembard, Beauté fractionnée, 2002

Sélection : poèmes à la une

Marine

Paul Verlaine

L’Océan sonore
Palpite sous l’oeil
De la lune en deuil
Et palpite encore,

Tandis qu’un éclair
Brutal et sinistre
Fend le ciel de bistre
D’un long zigzag clair,

Et que chaque lame,
En bonds convulsifs,
Le long des récifs
Va, vient, luit et clame,

Et qu’au firmament,
Où l’ouragan erre,
Rugit le tonnerre
Formidablement.

Paul Verlaine, Poèmes saturniens

Sélection : poèmes à la une

Vogue

Nadia Ben Slima

Au loin …la mer du nord

Adossée au littoral
la foule défile dans un flot bruyant,
entre remous et repos.

Sous le soleil
renaissent les sourires.
Sur la digue,
se brisent les souvenirs,
rêves apaisants
bercés par l’écume vibrante.

Chahuté par le vent,
Le temps n’est plus alors rien
Figé en une saison
dont le sable est le témoin.

Nadia Ben Slima, 2016

Sélection : poèmes à la une

Equilibre fuyant

Jules Delavigne

J’avance lentement
Sous un soleil écrasant
Mes pieds, plus lourds à chaque pas,
S’enfoncent inlassablement
Dans le sable liquide.

Et je ne vois que des champs couverts de neige
Que des dimanches matins heureux
Dans mes montagnes fraiches et splendides.

La vielle dame m’avait dit un jour
Que le bonheur est dans le mouvement
Dans la fluidité entre deux étapes, deux états
Et nulle part ailleurs.

Devant moi, toujours, mon enfance
L’air chargé de sel, porté par le vent
Ces milliers d’étincelles dans l’eau
Ces milliers de pensées insaisissables
Et le son des galets brassés par les vagues
Qui me bercera jusqu’à l’infini.

Jules Delavigne, Conclusions, 2008

Sélection : poèmes à la une

Far-niente

Théophile Gautier

Quand je n’ai rien à faire, et qu’à peine un nuage
Dans les champs bleus du ciel, flocon de laine, nage,
J’aime à m’écouter vivre, et, libre de soucis,
Loin des chemins poudreux, à demeurer assis
Sur un moelleux tapis de fougère et de mousse,
Au bord des bois touffus où la chaleur s’émousse.
Là, pour tuer le temps, j’observe la fourmi
Qui, pensant au retour de l’hiver ennemi,
Pour son grenier dérobe un grain d’orge à la gerbe,
Le puceron qui grimpe et se pend au brin d’herbe,
La chenille traînant ses anneaux veloutés,
La limace baveuse aux sillons argentés,
Et le frais papillon qui de fleurs en fleurs vole.
Ensuite je regarde, amusement frivole,
La lumière brisant dans chacun de mes cils,
Palissade opposée à ses rayons subtils,
Les sept couleurs du prisme, ou le duvet qui flotte
En l’air, comme sur l’onde un vaisseau sans pilote ;
Et lorsque je suis las je me laisse endormir,
Au murmure de l’eau qu’un caillou fait gémir,
Ou j’écoute chanter près de moi la fauvette,
Et là-haut dans l’azur gazouiller l’alouette.

Théophile Gautier, Premières Poésies

Sélection : poèmes à la une

Langueur

Susy Desrosiers

j’ai épuisé ma plume
jusqu’au bout de moi
jusqu’à plus rien

la gorge pleine de roches
ma voix s’étrangle
mes mains deviennent muettes

je m’égare dans mes silences

***

j’erre dans des ailleurs
habite des espaces
qui ne m’appartiennent pas

j’incarne des chairs inconnues
respire une autre vie
me perds dans de nouveaux visages

je meurs une fois de plus

Susy Desrosiers