Papa

Jean-Pierre Villebramar

Tu me manques, Papa
tu m’as appris tout ce qu’un fils apprend d’un père
pas seulement
le calcul et l’arithmétique,
l’histoire et la géographie etcetera
non, pas que ça,
bien plus que ça, papa.
les soldats de Jules Ferry, les hussards de la République,
et les cours de Morale:

Papa, mon papa, mon modèle,
tu m’as donné ton amour de la France,
de sa grandeur, de ses valeurs et de sa gloire militaire,
militaire, c’est vrai, mais pas que.
Il y eut aussi Voltaire,
ses amis Encyclopédistes, Rousseau, Diderot, Montesquieu,
l’Esprit des Lois.

Reste un sujet: nos colonies.
Grâce à toi, j’ai rêvé d’Empire
l’Empire Colonial et cette Afrique qui fut nôtre,
l’Afrique, un mot magique, un modèle:
tu servis dans l’armée coloniale,
un oncle également et deux cousins que j’admirais:
pour les deux, Indochine, Algérie, pour l’un Madagascar.
La Catalogne était la grande pourvoyeuse, avec la Corse,
d’engagés dans « La Coloniale ».
Gamin, je me voyais en képi bleu,
ou comme Bournazel* en sa tunique rouge…

Alors, plus tard, en hommage à mes chers héros,
je suis allé à Bamako, Ouagadougou,
Douala Dakar etcetera
dans notre Afrique,
à civiliser!

Civiliser! Quelle horreur! Quel tabou! Aujourd’hui,
je me ferais lyncher

Mais il y a plus, Papa, il y a plus important
que tout cela,
il y a l’amour, il y a l’admiration, l’exemple.
En 39, tu es allé chercher dans la montagne un déserteur
En 40, tu as formé tes Tirailleurs Sénégalais,
au bout, la Somme et ses 100 000 morts
morts pour la France, à l’époque, ça se disait, et ce n’était
ni désuet ni ridicule

Par quel miracle en es-tu revenu?

Puis les années d’Occupation
on ne sait pas, aujourd’hui, ce que c’est
des allemands en vert de gris qui défilent
avec leurs fifres et leurs tambours
dans un village
perdu dans la montagne catalane

On ne sait pas, et c’est un grand bonheur,
cacher ses jeunes dans les maquis du col de Jau
les fermiers leur apportent des pommes de terre
comme c’est terre à terre
des pommes de terre à manger

Mais je m’égare
je m’égare, Papa
je dis
n’importe quoi

L’important, c’est l’amour,
l’admiration, le culte
que j’eus alors pour toi

mon Papa
mon cher Papa

Aujourd’hui, tu dors au soleil catalan
jamais je n’ai fleuri ta tombe
jamais ne suis allé pour la Toussaint
en terre catalane
Ce n’est pas grave, n’est-ce pas
tu es dans ma tête et mon coeur,
et pour toujours, Papa
mon cher Papa

mon doux, mon tendre et bien aimé
Papa!

Villebramar, octobre 2025

Note*
Henri de Bournazel (Henri de Lespinasse de Bournazel, dit L’Homme Rouge) est un militaire français né à Limoges le 21 février 1898 et mort au combat le 28 février 1933, à la tête de ses goums marocains, dans les montagnes du jebel Saghro, région berbère du sud du Maroc (Anti-Atlas), lors des guerres de « pacification du Maroc ». Il fit l’objet dans les années 1930 à 1950 d’un véritable culte patriotique, devenant pour certains le modèle du jeune officier.
(source wikipedia)

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