L’Eternité

Arthur Rimbaud

Elle est retrouvée.
Quoi ? – L’Eternité.
C’est la mer allée
Avec le soleil.

Ame sentinelle,
Murmurons l’aveu
De la nuit si nulle
Et du jour en feu.

Des humains suffrages,
Des communs élans
Là tu te dégages
Et voles selon.

Puisque de vous seules,
Braises de satin,
Le Devoir s’exhale
Sans qu’on dise : enfin.

Là pas d’espérance,
Nul orietur.
Science avec patience,
Le supplice est sûr.

Elle est retrouvée.
Quoi ? – L’Eternité.
C’est la mer allée
Avec le soleil.

Arthur Rimbaud, Derniers vers

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30 commentaires sur “L’Eternité”

  1. Lucien

    dit :

    Un rectificatif d’ordre chronologique à mon propos (sauf erreur) : la phase « alchimique » n’est pas londonienne, mais bien parisienne et ardennaise (été 1871, lettre à Demeny, jusqu’en septembre 1872, premier départ avec Verlaine à Londres précisément, « et peut-être au-delà » précise tout de même Suzanne Bernard dans son très bel article sur la « Palette de Rimbaud »- 1959- accessible sur internet pour les passionnés (https://www.persee.fr/doc/caief_0571-5865_1960_num_12_1_2169), où elle fait très finement la part des choses entre « un emploi impressionniste et un emploi symbolique des couleurs » chez Rimbaud).

    Cette « Alchimie du verbe » (hallucination verbale) , qui succède à une « alchimie de l’être » (hallucination première) -travail sur soi, ou  » dérèglement de tous les sens », avant le travail sur les mots proprement dit- n’est autre donc que l’aboutissement et la mise en pratique de la théorie du Voyant qu’ « Une saison en enfer » viendra dénoncer comme « l’histoire d’une… folie », sans doute à cause de cet éloignement trop grand du « réel » auquel elle a conduit le poète (tendance qu’illustre bien les « Fêtes de la patience », et notamment « L’éternité » ici : « Des humains suffrages/ Des communs élans/ Là tu te dégages / Et voles selon »).

    Contrairement à Baudelaire en quête de « paradis artificiels » et d’un idéal presque platonicien dans le ciel des… Images (qui lui n’est pas platonicien), Rimbaud est un poète paysan, un poète de la Nature et de la terre : il ne cherche pas à percer la couche nuageuse pour échapper au spleen, il ne veut pas dépasser le monde vers un « autre monde » qui serait seul vrai, il veut « le changer » poétiquement (en 1872 du moins, après être revenu de ses velléités politiques de 1871) en portant dessus un regard neuf qu’il retranscrit et partage dans ses poèmes…

    « La vraie vie est absente »… dans un seul monde : « on ne part pas »…

     » Reprenons donc les chemins d’ici » pour changer les choses et « posséder la vérité dans une âme ET un corps ».

  2. Lucien

    dit :

    Troisième poème des « Fêtes de la patience » des « Derniers vers », ce poème de mai 1872 est l’aboutissement poétique de la « Chanson de la plus haute tour » étudié plus haut, qui le précède immédiatement dans le recueil juste avant «L’Age d’or ».

    Dans la « Chanson » nous avons vu que Rimbaud-le-Poète prend son essor au moment même où l’adolescent, Arthur-l’oisif, semble ressentir l’impasse de la tentative du Voyant (« Oisive jeunesse/ A tout asservi/ Par délicatesse/ J’ai perdu ma vie ») -sentiment dont il semble prendre exagérément conscience avec une ironie féroce dans le si beau poème autobiographique de la « Saison en enfer » en 1873, « Alchimie du verbe », qui nous livre une deuxième version intéressante de plusieurs poèmes des « Derniers vers »- et nous avons même parlé d’échec : échec de la réussite sociale poétique du jeune Arthur qui voulait être reconnu par ses pairs parisiens (qui est « monté à Paris » pour cela, avec « Le Bateau ivre » dans ses bagages) et que tout le monde (sauf Verlaine) ignore, échec sur le plan de la santé physique et mentale où il a frôlé, et même atteint la folie, « la folie qu’on enferme », échec enfin poétique quand il semble être parvenu dans une voie sans issue qu’il lui faut au plus vite quitter…

    Etait-ce vécu de la sorte par le poète de 1872 ? Le Rimbaud de 1873 n’est-il pas beaucoup plus désespéré que celui des « Derniers vers », surtout après la grande crise bruxelloise de l’été avec Verlaine ?

    A la lecture de «L’Eternité », comme des autres poèmes du recueil, l’on ressent au contraire une grande paix, une sérénité hors du temps qui marque l’un des sommets de la poésie universelle, comme si le poète se regardait de l’extérieur, comme si son « âme sentinelle » s’était décorporée pour fouler enfin, dans ces vers musicaux presque immatériels et intemporels, ces « grandes plages sans fin couvertes de blanches nations en joie » dont il parlera dans « Adieu », lieux rêvés d’où il peut enfin contempler « la mer allée avec le soleil », ou plutôt être contemplé par elle… car ce n’est plus le poète qui parle ici comme dans la « Chanson » (aucun « je » n’apparaît plus, seul un « nous » qui s’allie à l’ « âme sentinelle » semble en révéler la présence cachée : « Murmurons l’aveu»), mais la Poésie qui parle désormais en lui et la Poésie est devenue miroir de l’être, la mer se reflète dans le poème…

    A ce moment, l’ « âme sentinelle » (à laquelle le Poète s’adresse de nulle part, à la deuxième personne) s’est « dégagée » des « humains suffrages » (i.e. du point de vue humain particulier) et peut « voler selon » car elle a enfin atteint le rivage de la Poésie objective qu’elle parcourra désormais librement dans les « Illuminations » (l’on peut d’ailleurs penser que certains poèmes des « Illuminations » sont contemporains des « Derniers vers ») : « Je est [devenu] un autre », comme le jeune Arthur l’annonce de façon prémonitoire dès 1871 dans la Lettre du Voyant…

    Oui, par son projet de voyance, Arthur l’adolescent oisif surdoué a perdu sa vie particulière… mais Rimbaud-le-Poète est né à la vraie Vie universelle !

    A la suite d’une nouvelle crise à Londres qui a entraîné des études que l’on pourrait qualifier d’« alchimiques » (« Alchimie du Verbe »), le Poète semble donc avoir atteint dans les « Derniers vers » un infini dans lequel il s’est anéanti en acceptant ce qui peut être défini, d’un point de vue platement humain seulement, comme un échec : Verlaine parle à la même époque, quand lui-même compose ses « Romances sans paroles », d’ « Etudes néantes » qu’aurait projetées Rimbaud -une version païenne de l’union mystique en Dieu- à travers l’étude de ces « espèces de romances », ces « rythmes néants » qui n’ont cependant rien de « naïfs », ni ne sauraient être définis comme des « refrains niais » comme il les qualifiera ironiquement dans la « Saison »…

    Et ces « études » exténuantes, cette recherche « de pointe » aurait dit René Char, expliquent la cinquième strophe, impossible à analyser si l’on se contente d’une interprétation purement hédoniste et sensualiste du poème et que l’on oublie que la Poésie est d’abord création, donc activité par excellence : que peuvent bien être ce «là, pas d’espérance », cette « science avec patience », ce « supplice sûr » s’il suffit de s’abandonner à l’instant présent, allongé sur une plage au soleil couchant, pour rejoindre l’Eternité ?

    Non, il ne suffit pas de se bercer d’espérances (d’illusions) comme il a pu le faire en rêvant de Révolution par exemple, ni de s’abandonner passivement aux sens, pour rejoindre l’éternité : il y a un « devoir » à accomplir et la « réalité rugueuse à étreindre » quotidiennement, dans et par la contemplation des « braises de satin », l’observation de la chose même à laquelle il faut se soumettre et qu’il faut savoir voir et recréer poétiquement, il y a un exercice à faire (et quel exercice, d’une difficulté inouïe !), une « science » qu’il faut étudier avec « patience » et qui est une forme de « supplice » accepté car nécessaire pour atteindre enfin ce réel insaisissable après lequel Rimbaud a couru toute sa vie, comme après l’Aube des « Illuminations » étudié ailleurs : l’anéantissement dans l’infini n’est pas morne passivité, quiétisme, mais pure activité, la soumission au « devoir » n’est pas un laisser-aller nonchalant sur la plage (le « sommeil bien ivre » dont il parlera plus tard, toujours dans la « Saison », quand les nerfs auront craqué et que le « système » se sera effondré, avant de repartir différemment), elle est un effort sur soi au sens stoïcien pour se mettre en accord avec la Nature, une ascèse sans cesse recommencée pour gagner l’Eternité…

  3. Alain

    dit :

    Tu n’as plus besoin
    De l’avis du peuple
    Ni de ses triviales aspirations
    Et tu t’envoles libre.

  4. REGINE CHAMPART

    dit :

    « Des humains suffrages,
    Des communs élans
    Là tu te dégages
    Et voles selon »

    I’m tired but i can translate
    from human choice
    from ordinary joys
    Now you are free
    flying as a bee

  5. Mme Régine CHAMPART GELIS

    dit :

    « From human opinions/judgments,
    From popular endeavors/ventures, »

    why not? But I can translate too:

    From human choice
    And from shared joys …

    Quant à la mer allée avec le soleil ok pour « mixed » mais déjà en français on peut entendre beaucoup de choses et voir de belles métaphores comme la mer hâlée avec le soleil la mer comme un bateau et le soleil un hâleur on peut entendre allée comme faisant l’amour avec le soleil

  6. smith

    dit :

    Not easy to translate, but:
    Flautiste dit :
    13 février 2020 à 16:29

    Natalie Penn :

    Des humains suffrages,
    Des communs élans
    Là tu te dégages
    Et voles selon

    From human opinions/judgments,
    From popular endeavors/ventures,
    One frees oneself
    And fly accordingly

    That would be my translation.

    to respect rythm and short verses:

    from human wishes,
    from common surges
    thou act to go away
    and fly free on the way

    la langue française est imbattable en tonalités , en musique, dans ses poèmes.
    les Chinois disent qu’elle est en ce sens la plus belle langue du monde

  7. benzema 93

    dit :

    Je suis d’accord avec Nath.

  8. Daska

    dit :

    Plusieurs façons de lire et comprendre ce poème.
    Tel un Alchimiste des mots.

    L’amère allée …

    « Science avec patience,
    Le supplice est sûr. »

  9. Poet poet

    dit :

    La classe absolue d’un génie poétique. Merci Arthur

  10. Nono

    dit :

    Esceque l’on pourrais avoir la date svp ou si qqln peut me répondre avec un autre commentaire merci

  11. Adam

    dit :

    Pourquoi « allée » si c’est un halo ? Ça reste un profond mystère ce mouvement qui va devant cet « avec » … « Tu marchera dans le soleil et moi j’irai sous la terre » : dernière prémonition du poète qu’il adresse à sa sœur sur son lit d’hôpital …

  12. Aphinar

    dit :

    « Toi, l’autre hiver, plus sourd que les cerveaux d’enfants »

    Merci

  13. Gustave Flaubert

    dit :

    A la fin de Pierrot le fou, Ferdinand (Belmondo) s’entoure la tête de bâtons de dynamite multicolores sur un promontoire de Porquerolle, face à la Méditerranée. Il allume la mèche avec peine dans le grand vent et tente finalement d’éteindre le cordon bickford en s’exclamant « mais après tout je suis con… ».

    Trop tard, il explose. La caméra panote vers le soleil couchant au-dessus de l’immensité bleue et une voix off chuchote : « Elle est retrouvée. Quoi? L’éternité, c’est la mer allée avec le soleil. »

  14. Hades

    dit :

    Et je n’entends plus le murmure plaintif et lancinant des vagues
    Époumonnées, elles se sont arrêtées..
    Elle est recouvrée, quoi, l’éternité

  15. Silvia Escobar

    dit :

    Magnifique!

  16. El Re

    dit :

    @Nathalie
    La strophe veut dire qu’il se « dégage » (il se libère) des « humains suffrages » (des actes par lesquels on déclare sa volonté, c’est à dire les buts, les projets dans la société des hommes), « Des communs élans ! » (de l’idée qu’il se positionne par rapport aux autres) « Et voles selon » (tu voles là où tu veux).

    Dans la saison en enfer ce texte est un peu modifié par Rimbaud, et c’est un peu plus intelligible

    Donc tu te dégages
    Des humains suffrages,
    Des communs élans !
    Tu voles selon…

  17. Dominique Peutraud

    dit :

    Fabuleux poème. Un de mes favoris de Rimbaud et de toute la littérature française. Un poème à méditer est utiliser pour méditer…

  18. Tonio

    dit :

    A Julien,

    C’est votre opinion.

    « Elle est retrouvée.
    Quoi ? – L’Eternité.
    C’est la mer allée
    Avec le soleil. »

    Ces quelques phrases sont, pour moi, d’une puissance inouïe. Une simplicité extrême qui exprime une image intemporelle et infinie.

    Elles résonnent en moi depuis la première fois où je les ai entendues (et non lues).

    C’est mon opinion.

    En tout cas, je retiens une perle, que vous dépasserez un jour, je l’espère : demander à un poète de s’expliquer dans un poème, c’est ne pas comprendre le sens même de là poésie.

  19. popochka

    dit :

    A Julien

    La poésie est une transfiguration du réel et n’a pas besoin d’explication. Elle parle par images et musique, elle parle aux sens et non à la raison. Elle parle en évoquant ce qui est plus subtile qu’une explication logique et crue. Elle dit l’indicible de notre monde. La poésie est nécessaire à l’âme comme l’est l’air à nos poumons.

  20. JULIEN

    dit :

    Moi, je trouve ce poème nul (ou plutôt, cette façon de s’exprimer inutile). À quoi bon chercher à savoir ce que l’auteur a bien voulu dire ? Il n’avait qu’à être plus clair ou s’expliquer en fin de poème.

  21. Flautiste

    dit :

    Natalie Penn :

    Des humains suffrages,
    Des communs élans
    Là tu te dégages
    Et voles selon

    From human opinions/judgments,
    From popular endeavors/ventures,
    One frees oneself
    And fly accordingly

    That would be my translation.

  22. Salim

    dit :

    Nathalie,
    Il n’y a plus d’attentes, plus de recherche du commun ou de l’acceptation des autres. Arthur Rimbaud – son âme? – se libère des dernières entraves, et vole.

  23. Mumu

    dit :

    Pour natalie:
    Cela signifie pour moi que l’âme du poète se libère, dépasse l’humanité et ses préoccupations « communes »…

  24. Oyeyemi Emmanuel

    dit :

    Peut-on me donner l’information sur l’Editeur de ce poème

  25. Natalie Penn

    dit :

    Je suis anglaise et je ne comprends pas le stanza suivant:

    Des humains suffrages,
    Des communs élans
    Là tu te dégages
    Et voles selon

    Les humains suffrages, est-ce que cela veut dire ‘les souffrances humaines’ ou est-ce qu’il décrit de la politique: est-ce qu’il s’agit de voter? Je ne comprends pas, et j’ai vu une traduction en anglais, mais ça n’a pas du sens pour moi, non plus.

    Peut-on m’aider un peu à comprendre?

    Merci bien

  26. moi

    dit :

    C’est beau !

  27. squaw

    dit :

    C’est simple, c’est beau et ça fait rêver d’éternité !

  28. Nadine Lucas

    dit :

    J’aime la légèreté des pentamètres et leur fausse modestie.

  29. Alessandre

    dit :

    Simple et très beau !

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