Dans Venise la rouge,
Pas un bateau qui bouge,
Pas un pêcheur dans l’eau,
Pas un falot.
Seul, assis à la grève,
Le grand lion soulève,
Sur l’horizon serein,
Son pied d’airain.
Autour de lui, par groupes,
Navires et chaloupes,
Pareils à des hérons
Couchés en ronds,
Dorment sur l’eau qui fume,
Et croisent dans la brume,
En légers tourbillons,
Leurs pavillons.
La lune qui s’efface
Couvre son front qui passe
D’un nuage étoilé
Demi-voilé.
Ainsi, la dame abbesse
De Sainte-Croix rabaisse
Sa cape aux larges plis
Sur son surplis.
Et les palais antiques,
Et les graves portiques,
Et les blancs escaliers
Des chevaliers,
Et les ponts, et les rues,
Et les mornes statues,
Et le golfe mouvant
Qui tremble au vent,
Tout se tait, fors les gardes
Aux longues hallebardes,
Qui veillent aux créneaux
Des arsenaux.
Ah ! maintenant plus d’une
Attend, au clair de lune,
Quelque jeune muguet,
L’oreille au guet.
Pour le bal qu’on prépare,
Plus d’une qui se pare,
Met devant son miroir
Le masque noir.
Sur sa couche embaumée,
La Vanina pâmée
Presse encor son amant,
En s’endormant ;
Et Narcissa, la folle,
Au fond de sa gondole,
S’oublie en un festin
Jusqu’au matin.
Et qui, dans l’Italie,
N’a son grain de folie ?
Qui ne garde aux amours
Ses plus beaux jours ?
Laissons la vieille horloge,
Au palais du vieux doge,
Lui compter de ses nuits
Les longs ennuis.
Comptons plutôt, ma belle,
Sur ta bouche rebelle
Tant de baisers donnés…
Ou pardonnés.
Comptons plutôt tes charmes,
Comptons les douces larmes,
Qu’à nos yeux a coûté
La volupté !
Alfred de Musset
Musset nous dit par ce poème son tragique amour avec Georges Sand car Venise est la ville des amoureux. Si bien qu’à la fin il compte les larmes qui lui ont coûté d’avoir aimé cette féministe en pantalon et cigare qui oubliait si vite ses amants…
Ce poème est extrait du Voyage en Italie de Théophile Gautier, publié en 1850. Il s’agit d’une description de Venise la nuit, où le poète mêle l’observation réaliste et le rêve romantique. Le poème est composé de neuf quatrains en alexandrins, avec un schéma de rimes croisées (ABAB).
Le premier quatrain plante le décor : Venise est rouge, couleur de la passion et du sang, mais aussi de l’incendie qui menace la ville. Le poète insiste sur l’immobilité et le silence qui règnent sur la lagune : pas un bateau, pas un pêcheur, pas un falot. Le contraste entre le rouge et le noir crée une atmosphère mystérieuse et inquiétante.
Le deuxième quatrain introduit le seul élément vivant du paysage : le lion de Saint-Marc, symbole de la puissance et de la fierté de Venise. Le poète lui prête une attitude majestueuse et défiante : il soulève son pied d’airain sur l’horizon serein, comme s’il voulait dominer le ciel et la mer.
Le troisième quatrain décrit les navires et les chaloupes qui dorment sur l’eau qui fume, c’est-à-dire qui s’évapore sous l’effet de la chaleur. Le poète les compare à des hérons couchés en ronds, ce qui crée une image poétique et harmonieuse. Il évoque aussi les pavillons qui croisent dans la brume, en légers tourbillons, ce qui suggère un mouvement léger et gracieux.
Le quatrième quatrain se focalise sur la lune, qui éclaire la scène nocturne. Le poète utilise une métaphore filée pour comparer la lune à une dame abbesse qui se couvre le front d’un nuage étoilé, demi-voilé. Il s’agit d’une allusion à la religion catholique, très présente à Venise, mais aussi à la chasteté et à la retenue.
Le cinquième quatrain énumère les éléments architecturaux qui font la beauté de Venise : les palais antiques, les graves portiques, les blancs escaliers des chevaliers. Le poète utilise des adjectifs qualificatifs qui soulignent le caractère noble et prestigieux de ces monuments. Il ajoute aussi les ponts et les rues, qui sont des lieux de passage et de circulation.
Le sixième quatrain mentionne les mornes statues, qui sont des témoins silencieux de l’histoire et de l’art de Venise. Il termine par le golfe mouvant qui tremble au vent, ce qui rappelle que Venise est une ville fragile et menacée par les éléments naturels.
Le septième quatrain marque un changement de ton : le poète passe du registre épique au registre lyrique. Il exprime son admiration pour Venise, mais aussi son désir amoureux. Il révèle que tout se tait, fors les gardes aux longues hallebardes, qui veillent aux créneaux des arsenaux. Il s’agit d’une allusion à la fonction militaire et commerciale de Venise, mais aussi à un obstacle à l’amour.
Le huitième quatrain décrit les femmes qui attendent au clair de lune leur amant ou leur cavalier. Le poète utilise des noms propres qui évoquent des personnages typiques ou célèbres de Venise : Vanina, Narcissa. Il suggère que ces femmes sont coquettes, sensuelles ou folles. Il contraste ainsi avec la sobriété de la dame abbesse du quatrième quatrain.
Le neuvième et dernier quatrain est une apostrophe à la femme aimée, ma belle. Le poète lui propose de compter sur sa bouche rebelle tant de baisers donnés ou pardonnés, ce qui implique une relation passionnée et tumultueuse. Il lui propose aussi de compter ses charmes et les douces larmes qu’à nos yeux a coûté la volupté, ce qui exprime une fusion des corps et des âmes.
En conclusion, ce poème est un hommage à Venise, ville d’art et d’amour, qui fascine le poète par sa beauté et son mystère. Le poète utilise des images contrastées, des comparaisons et des métaphores pour créer une atmosphère à la fois réaliste et fantastique. Il mélange les registres épique, descriptif et lyrique pour exprimer son admiration, son émotion et son désir.
Merci pour ce poème !
Qui est Narcissa la Folle ?
Pour le court, voir du côté des Haïkus,
c’est court… promis
… la mer serait-elle trop immense aussi ?
Tout simplement magnifique. A lire et à relire.
L âme de Venise est omniprésente dans ce très beau poème nullement trop long. Cette ville magique et étrange mérite cet hommage tout en subtilités et délicatesse. Alfred doit se retourner dans sa tombe lorsque les monstres flottants violent ces espaces martyrisés aujourd’hui par un tourisme de masse. Merci Alfred pour ce poème figeant Venise dans l éternité
Comme quelequ’un a dit, il y a trop de « il est trop » !
Pardon Sybard, on ne dit pas « De Musset », mais « Musset ». Seuls les noms propres à une syllabe sont accompagnés de la particule (« De Gaulle ») lorsqu’ils ne sont pas précédés du prénom ou de monsieur.
Très joli mais beaucoup trop long. Et les gens qui disent que je ne suis pas assez intelligent pour lire un grand poème et ben sachez que j’ai lu pleins de livres hyper longs !
Très beau poème
Pour ceux qui trouvent trop long, il suffit de ne lire qu’une strophe par jour !
Les gens qui commentent juste pour dire que ce poème est trop long, ne perdez pas votre temps, personne n’en a rien à faire votre avis dans ce cas là. Quand on lit un poème on l’apprécie pour ce qu’il véhicule comme émotion, pour le thème abordé ou encore pour l’auteur. On ne peut pas dire qu’on aime un poème si l’on dit juste après qu’il est long. Si on aime un poème le nombre de vers ne compte pas.
C’est bien triste de lire à plusieurs reprises « Beaucoup trop long ». C’est à croire qu’au delà de dix lignes nos contemporains ont épuisé leur capacité de concentration.
17 vers… majestueux. Pour un magnifique poème sur la ville de venise! Il est parfait!
Très beau poème, mais très long 🙂
Musset et Apollinaire, mes deux chouchous
Bien, réfléchis, je vais le dire à tout le monde. Alfred de Musset compose de belles poésies. J’adore les aventures!
Et moi 83 ! souvenir d’enfance prégant qui accompagne toute la vie.
Tellement magnifique, ce poème me suit depuis la 4° et j’ai 76 ans.
Magnifique et super. J’ai trop aimé, mais il est long.
Long et laborieux. Et pourtant j’aime beaucoup ce Monsieur.
magnifique mais long
C’est sublime, celà me transporte ;… le rythme, les sons, comment peut-on trouver celà trop long ? Je ne l’ai jamais oublié depuis le lycée…
Est ce que c’est un poème ayant pour thème le voyage?
émouvant 🙂
C’est très beau ! Obligé de penser, moi qui ne suis allé à Venise pourtant qu’une seule fois, aux secrets des confidences voluptueuses murmurés par tous ces escaliers, ces ponts, ces palais antiques, ces soubassements de pierres animées encore des plus chaudes couleurs. On entend le long des canaux comme des bruissements de robes fantômes s’enfuir sous les porches…
Très beau mais beaucoup trop long !
Connaissez vous des poèmes traduisant le mal du pays, la mélancolie du poète voyageur ? Merci d’avance 😉
je vais l’utliser pour mon oral 🙂
à Sybard :
Tu t’égares complètement lorsque tu parles de l’amour de la Grèce, d’un “plilhellénisme” (terme pas tellement orthodoxe d’ailleurs) qui se trouverait dans les vers : ” Et les palais antiques, et les graves portiques, et les ponts, et les rues, et les mornes statues “. Musset a voulu évoquer ici la magnificence et la splendeur de la ville de Venise. En effet, Venise était à l’époque, rappelons-le, une république indépendante au coeur de l’Italie ! L’amour de la Grèce n’est pas du tout présent ici car Venise avait elle aussi, pendant ces années de splendeur, des palais antiques, des graves portiques, des mornes statues, etc. Nous avons d’ailleurs, pour fonder mes dires, “Au palais du vieux Doge” essentiellement présent à Venise, et certainement pas en grèce. Tu as un commentaire trop puérile basé uniquement sur l’analyse linéaire, tu dois situer ton analyse dans le contexte géographique et historique !
Beaucoup trop long !!
L’engouement contemporain au philhellénisme est clairement présent. De Musset rejoint Hugo par ces anthologies de « lieux et d’ailleurs » en évocant son amour pour l’antiquité et la civilisation grecque. Car, quand bien même, Venise n’est pas Athènes, De Musset ose en connoter certaines similarités. C’est ce principe singulier: décrire implicitement un lieu, caché derrière un autre.