Le moulin

Emile Verhaeren

Le moulin tourne au fond du soir, très lentement,
Sur un ciel de tristesse et de mélancolie,
Il tourne et tourne, et sa voile, couleur de lie,
Est triste et faible et lourde et lasse, infiniment.

Depuis l’aube, ses bras, comme des bras de plainte,
Se sont tendus et sont tombés ; et les voici
Qui retombent encor, là-bas, dans l’air noirci
Et le silence entier de la nature éteinte.

Un jour souffrant d’hiver sur les hameaux s’endort,
Les nuages sont las de leurs voyages sombres,
Et le long des taillis qui ramassent leurs ombres,
Les ornières s’en vont vers un horizon mort.

Autour d’un vieil étang, quelques huttes de hêtre
Très misérablement sont assises en rond ;
Une lampe de cuivre éclaire leur plafond
Et glisse une lueur aux coins de leur fenêtre.

Et dans la plaine immense, au bord du flot dormeur,
Ces torpides maisons, sous le ciel bas, regardent,
Avec les yeux fendus de leurs vitres hagardes,
Le vieux moulin qui tourne et, las, qui tourne et meurt.

Emile Verhaeren, Les soirs

 

 

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2 commentaires sur “Le moulin”

  1. Prisme

    dit :

    J avais 9 ans , quand mon père m incitait et m invitait devant tous à déclamer ce poème en insistant sur son caractère tristement obsessionnel ! Un délice ! Comme un peu plus tard je le fis avec Baudelaire : « Sois sage ô ma douleur et tiens toi plus tranquille… »

  2. M. VILLAND

    dit :

    Magnifique évocation d’un triste paysage d’hiver!! on se sent frissonner… comme c’est beau!!

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