A Monsieur le Chevalier de Boufflers

Voltaire

Croyez qu’un vieillard cacochyme,
Chargé de soixante et douze ans,
Doit mettre, s’il a quelque sens,
Son âme et son corps au régime.
Dieu fit la douce Illusion
Pour les heureux fous du bel âge ;
Pour les vieux fous l’ambition,
Et la retraite pour le sage.
Vous me direz qu’Anacréon,
Que Chaulieu même, et Saint-Aulaire,
Tiraient encor quelque chanson
De leur cervelle octogénaire.

Mais ces exemples sont trompeurs ;
Et quand les derniers jours d’automne
Laissent éclore quelques fleurs,
On ne leur voit point les couleurs
Et l’éclat que le printemps donne :
Les bergères et les pasteurs
N’en forment point une couronne.
La Parque, de ses vilains doigts,
Marquait d’un sept avec un trois
La tête froide et peu pensante
De Fleury, qui donna les lois
A notre France languissante.
Il porta le sceptre des rois,
Et le garda jusqu’à nonante.
Régner est un amusement
Pour un vieillard triste et pesant,
De toute autre chose incapable ;
Mais vieux bel esprit, vieux amant,
Vieux chanteur, est insupportable.

C’est à vous, ô jeune Boufflers,
A vous, dont notre Suisse admire
Le crayon, la prose, et les vers,
Et les petits contes pour rire ;
C’est à vous de chanter Thémire,
Et de briller dans un festin,
Animé du triple délire
Des vers, de l’amour, et du vin.

Voltaire (François Marie Arouet)

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