Ballade des pendus

François Villon

Frères humains, qui après nous vivez,
N’ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
Vous nous voyez ci attachés, cinq, six :
Quant à la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéça dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s’en rie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Se frères vous clamons, pas n’en devez
Avoir dédain, quoique fûmes occis
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n’ont pas bon sens rassis.
Excusez-nous, puisque sommes transis,
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l’infernale foudre.
Nous sommes morts, âme ne nous harie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

La pluie nous a bués et lavés,
Et le soleil desséchés et noircis.
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charrie,
Plus becquetés d’oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Prince Jésus, qui sur tous a maistrie,
Garde qu’Enfer n’ait de nous seigneurie :
A lui n’ayons que faire ne que soudre.
Hommes, ici n’a point de moquerie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

François Villon, Poésies diverses

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85 commentaires sur “Ballade des pendus”

  1. Car christian

    dit :

    Le réalisme de Villon rend magnifiquement le sort de ces condamnés autant que celui de leurs corps. Les vers font sentir le vent auquel ils sont livrés comme de vulgaires marionettes sans aucun respect. Le poème n’a pas pris une ride en effet. On retrouve differemment ce survol de la condition humaine bien plus tard chez Malraux. Intemporel.

  2. Mike

    dit :

    L’expression de la Charité toute entière, magnifique.

  3. pierre

    dit :

    Un grand silence de respect !

  4. Kenny Jean Michel

    dit :

    C’est un merveil! c’est tout ce que je trouve à dire

  5. Sylvain FOULQUIER

    dit :

    La ballade des pendus fait partie des chefs-d’œuvre de la poésie universelle et, même si François Villon n’avait écrit que cela, il serait l’un des plus grands. Ce poème sublime et bouleversant n’a pas pris une ride, contrairement aux oeuvres de poètes plus récents (par exemple Ronsard, Byron, Lamartine, Goethe etc…) qui ont très mal vieilli. Chef-d’oeuvre universel et intemporel, il a traversé et continuera de traverser les âges.

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