Correspondances

Charles Baudelaire

La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.
Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
II est des parfums frais comme des chairs d’enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
— Et d’autres, corrompus, riches et triomphants,
Ayant l’expansion des choses infinies,
Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens,
Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.

Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal

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25 commentaires sur “Correspondances”

  1. toma

    dit :

    Si certains disent que « sa veu rien dire » ou que « les profs y nous soule en se la pétant avec des analise claqués au sol », ma foi, ces personnes ont le droit à une opinion… mais il est important d’admettre que ce n’est QUE ça.

    Car si, dans la poésie en général, et même dans Les Fleurs du Mal, il est évidemment possible de trouver çà et là des formulations ampoulées, ou balayer le texte du revers de la main parce que Untel, celui qui joue de la guitare dans la pelouse à la récré, trouve que « Baudelaire, c’est trop son poète préféré », Correspondances a brisé les digues de ma résistance à la poésie, notamment grâce à une prof qui a su nous rendre le texte, non seulement intelligible, compréhensible, mais nous faire danser avec les mystères qu’il contient.

    Et pendant les maigres heures qu’elle avait à sa disposition, elle avait pris plaisir à non seulement nous faire comprendre que dès le TITRE, le programme était annoncé : Correspondances, un mot en apparence si inoffensif et pourtant, nous menant déjà vers des choses profondes, les synchronicités (ou « heureux hasards »), le monde effleuré par les sens, tous les sens, du poète en tant que Révélateur, Magicien, qui nous permet, le temps d’un poème, de reluquer sans pudeur ni irrespect, sous le voile d’Isis.

    Et bien évidemment, le poème, de correspondances, il en est truffé. Et notre géniale prof d’étude de lettres, a su, même aux cancres et aux simplets dans mon genre « moi j’aime paaaa la pouéziiiii », transmettre avec passion l’envie de trouver, de fouiller avec curiosité et excitation (certains diraient sans une trace de honte comme dans une peinture, un film, voire comme dans un jeu vidéo (Fez qui dépasse les marges des mécaniques vidéoludiques, Inside dont l’ambiance évoque rien moins qu’un poème dystopique au delà des mots et s’avère truffées de correspondances, des thématiques, de la narration, aux mécaniques, qui se font échos, entre autres oeuvres dépassant sans vergogne le cadre de son medium imposé), osant se foutre du « Mais c’est pas comme ça qu’on fait, enfin!!!! »…

    Osant, certes, et pourtant respectant les formes académiques de la poésie, tout en les poussant plus loin.

    Correspondances est un manuel, un « cheat code » destiné aux individus inspirés, désirant voir, sentir, ressentir au delà des limites apparentes.

    Et bien évidemment, ma rigoureuse prof avait sélectionné des quelques perles au sein de l’ouvrage focalisant sur le mouvement, nous a abasourdi devant Le Parti Pris des Choses de Francis Ponge et le poème L’huître, mais aussi le Cageot, entre plusieurs textes qui ont dépoussiéré définitivement l’image dont l’on s’était gavé du poète de Cour, pomponné et se contentant de faire rimer de prétentieuses phrases.

    Nous étions passés de l’autre coté du miroir, n’osant qu’à peine se l’avouer.

    Et jamais cette prof, de toute l’année, n’a laissé pourrir un élève « inadapté », ni formaté son programme.

    Je n’aime toujours pas la poésie, mais j’en vois partout !

  2. DuPasquier Emmanuel

    dit :

    Par ce poême, j’ai commencé à saisir tous les autres. Jeune, mon grand frère m’en a donné quelques clés et tout s’est ouvert… merci mon frère et la poésie.

    Toute ma vie résonne à la poésie.

    Même quand je m’affaires avec des logiciels logarithmes. L’AI n’est rien face à l’SN – la sensibilité naturelle

    Gardez bien vos vies vous vivants.

  3. muller

    dit :

    Je déteste le Français et les poèmes incompréhensibles. Bon courage à tous les étudiants qui passent derriere moi. Je déteste par dessus tout les analyses de texte absolument farfelues des profs. PITIE STOP !

  4. FRANCIS BERETTI

    dit :

    Magnifique poème, bien sur, musical et profond. De plus, essentiellement, il peut être relié à la thématique de la synesthésie, comme le montre le film de Nurith Aviv, « La lettre errante », à la conception originale, puisqu’il s’agit d’une variation sur la lettre R.

  5. Marie-Agnès Delhaye

    dit :

    Interpréter la réalité comme un système de correspondances ! J’aime les arbres qui parlent, les symboles qui observent, les couleurs, les sons et les parfums s’amusent : un génie a insufflé la vie à une image banale.

  6. Jacques Bousquet

    dit :

    Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

    Cet alexandrin sous-tend à lui seul le poème et le commente à lui seul.
    Il n’y a plus de vers, il y a essentiellement correspondances, contraires, oppositions, complémentarités, chaque mot s’enrichit des éléments qui le suivent ou le précèdent, d’où une cadence, une musique…..Et à cela s’ajoute que chaque poème se retrouve dans n’importe quel autre poème des fleurs du mal.

    Telle fut ma première réaction à la lecture de ce poème particulier.

    Merci pour « Pour la mathématicienne Claire Voisin, ce poème décrit le plaisir des mathématiques pures » Cela me fait penser aux Chants de Maldoror (Isidore Ducasse) Ô mathématiques célestes, je ne vous ai pas oubliées!

  7. Alhadi Nour

    dit :

    Dans la « Lettre du voyant », Rimbaud parle de Baudelaire comme étant le « premier des voyants » quand il appelle le poète à un « dérèglement raisonné de tous les sens ». Dans le second quatrain, le poème de Baudelaire dont il est question illustre parfaitement cet « éclatement de tous les sens.

  8. Pierre

    dit :

    Bonjour, je me pose la question de qui chantent les transports de l’esprit et des sens ?

    Uniquement les parfums corrompus, riches et triomphants ou aussi les parfums frais ?

    Pour ma part je pencherais pour les deux puisque la ponctuation des deux tercets ne comporte qu’un point final.

    Si quelqu’un(e) pouvait m’éclairer.

    D’avance merci.

  9. Dimitri Sebanowitz

    dit :

    Un poème fondateur de l’art d’Alexandre Scriabine. Scriabine avait une perception auditive des couleurs et voulait faire une oeuvre d’art total (son « Mystère ») faisant participer tous les sens. Il avait acheté des terrain en Inde à cet effet. Il est mort prématurément avant d’avoir pu réaliser son grandiose projet : « je meurs, mais c’est une catastrophe », furent ces derniers mots. Catastrophe pour l’art.

  10. Jammi

    dit :

    Baccalauréat 1995. Pour l’alchimiste que je suis devenue, quel beau clin d’œil.

  11. Merlin

    dit :

    La Nature a fait l’homme (pur) à son image (vaste comme la nuit et comme la clarté, pilier vivant de symboles familiers -seuls vrais initiateurs des choses manifestes et des autres cachées), et l’homme (corrompu mais « riche », misérable mais « triomphant ») le lui a bien rendu…

  12. Yann Péli

    dit :

    Désolé, mais si le poète est un voyant, il y a dans ce texte tous les postulats de la physique moderne à savoir, qu’à la base, l’univers se réduit à des unités élémentaires qui peuvent transmuer de la lumière jusqu’à la matière en modifiant leurs modes d’apparition : « vates eris »

  13. JUNIET

    dit :

    Pour répondre à AA : Baudelaire appartient au groupe des symbolistes qui tentent de nous montrer qu’il faut dépasser les apparences du monde terrestre…

  14. Matt

    dit :

    Sublime poème, au double sens, dont les derniers vers implicitent évidement les premiers. La métaphore, lorsqu’elle est aussi brillante, ne se soutient que de de la littéralité des mots. A relire, au premier degré.

  15. Krithika

    dit :

    Baudelaire utilise une synexthésie avec laquelle il mélange tous les sens, l’odorat la vue, et le toucher. Nous nous sentons plus proche de cette nature qui est comparée à un temple. Cette alégorie est mise en avant par sa présence imposante et forte. La Nature nous laisse sa fraicheur à travers le poème.

  16. GUY MATHEVON

    dit :

    « Au plus profond des bois la Patrie a son coeur, un Peuple sans forêts est un Peuple qui meurt. »

  17. Lug69

    dit :

    C’est le poème d’un franc-maçon: « Temple », vivants piliers (les frères), forêt de symboles, familiarité, unité….etc. Il fait appel aux sens et aux éléments rencontrés lors de ses tenues.

  18. Jane Chambon

    dit :

    « Comme de longs échos qui de loin se confondent
    Dans une ténébreuse et profonde unité
    Vaste comme la nuit et comme la clarté
    Les parfums , les couleurs et les sons se repondent »

    C’est tellement essentiel cette unité de l’art sous toutes ses formes , et essentiel de comprendre qu’il impacte avant tout notre sensibilité…

  19. Gardon

    dit :

    La puissance de Baudelaire réside dans le savant mélange de thèmes romantiques dans la forme hyper classique du sonnet. Pour la mathématicienne Claire Voisin, ce poème décrit le plaisir des mathématiques pures

  20. Edgar Archer

    dit :

    Avez-vous remarqué que ce sont les symboles de la nature qui observent l’homme et pas l’inverse ?

  21. AA

    dit :

    Bonjour, ce poème est-il romantique?

  22. david

    dit :

    Souvenir ému de l’épreuve du bac français 1971 en commentaire de texte.

  23. Yui

    dit :

    Il a été écrit en 1855 je crois ?

  24. Kate

    dit :

    Le respet du sonnet aide la lecture. je suis bien d’accord avec Tchernika. Quelle sensualité étourdissante dans ce poéme !

  25. Tchernika

    dit :

    Quel plaisir de relire quelques poèmes familiers lorsqu’on est sans ses livres, mais pourquoi ne pas présenter les sonnets sous leur forme habituelle: deux quatrains et deux tercets?

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