À celle dont ils rêvent

Paul Eluard

Neuf cent mille prisonniers
Cinq cent mille politiques
Un million de travailleurs

Maîtresse de leur sommeil
Donne-leur des forces d’homme
Le bonheur d’être sur terre
Donne-leur dans l’ombre immense
Les lèvres d’un amour doux
Comme l’oubli des souffrances

Maîtresse de leur sommeil
Fille femme soeur et mère
Aux seins gonflés de baisers
Donne-leur notre pays
Tel qu’ils l’ont toujours chéri
Un pays fou de la vie

Un pays où le vin chante
Où les moissons ont bon coeur
Où les enfants sont malins
Où les vieillards sont plus fins
Qu’arbres à fruits blancs de fleurs
Où l’on peut parler aux femmes

Neuf cent mille prisonniers
Cinq cent mille politiques
Un million de travailleurs

Maîtresse de leur sommeil
Neige noire des nuits blanches
À travers un feu exsangue
Sainte Aube à la canne blanche
Fais-leur voir un chemin neuf
Hors de leur prison de planches

Ils sont payés pour connaître
Les pires forces du mal
Pourtant ils ont tenu bon
Ils sont criblés de vertus
Tout autant que de blessures
Car il faut qu’ils se survivent

Maîtresse de leur repos
Maîtresse de leur éveil
Donne-leur la liberté
Mais garde-nous notre honte
D’avoir pu croire à la honte
Même pour l’anéantir.

Paul Eluard, Les Armes de la douleur, 1944

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Un commentaire sur “À celle dont ils rêvent”

  1. Isaura

    dit :

    J’ai adoré ce poème, il était profond et émouvant.

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