En passant sur le quai…

Georges Fourest

C’est encore là ce que nous avons eu de meilleur.
Gustave Flaubert. (L’Éducation sentimentale).

Le long des parapets tout argentés de brumes,
Vraiment je ne sais plus pourquoi je remarquai
Ce banal in-dix-huit parmi tant de volumes
Endormis comme lui dans les boîtes du quai ;

Lamentable bouquin ! voyez : le dos se casse,
Le soleil tord les plats que l’averse a mouillés ;
On a, sans aucun soin, gratté la dédicace
Et le vent de la scène emporte des feuillets.

C’est un livre de vers : jadis par les allées
Du Luxembourg vernal où chantaient les lilas
Comme il vous pourchassait gaiement, strophes ailées,
Ce poète chanteur alerte et jamais las !

Fou d’épithète rare, et de rythme et de rime,
D’allitération, de consonnes d’appui,
Il n’apercevait point (irrémissible crime !)
Putanettes en fleurs, vos yeux fixés sur lui !

Et comme il se dressait en dompteur de chimère
Et comme il agitait son crâne chevelu,
Ce jour, cet heureux jour où l’éditeur Lemerre
Lui dit : « Monsieur Ledrain, jeune homme, vous a lu;

« Vos vers le satisfont. Casquez, et je publie ! »
Oh ! mots harmonieux ! le murmure embaumé
Des forêts où l’aveu d’une lèvre jolie
Peut-être, en ce moment, ne l’eût point tant charmé !

Oh ! tu n’espérais point, je le sais, bon jeune homme,
Non ! tu n’espérais point le foudroyant succès
Qui du soir au matin fait l’auteur qu’on renomme
De l’inconnu d’hier, mais au moins tu pensais

(D’ailleurs peu soucieux de vulgaires tapages)
Qu’une femme, un poète, un couple d’amoureux,
Peut-être… un chroniqueur feuilletteraient ces pages
Et scanderaient ces vers que tu rimais pour eux.

Hélas ! Monsieur Ledrain fut ton lecteur unique ;
Ton bouquin resta vierge au passage Choiseul…
Nulle main n’entrouvrit cette jaune tunique
Dont la brocheuse a fait son lange et son linceul ! —

Est-il mort, aujourd’hui, l’auteur de ces poèmes ?
Aigri, désespéré, faiseur de mots méchants,
A-t-il grossi le flot des sordides bohêmes ?
Non ! laissez-moi penser qu’il regagna ses champs,

Sa maison de province où toute chose est douce,
L’enclos où le glaïeul fleurit auprès du chou ;
Il végète comme eux sans heurt et sans secousse,
Adipeux et béat, tel un poussah mandchou !

Critique au Moniteur de la Sous-Préfecture,
Il préside là-bas de vagues JEUX FLORAUX,
Déplore les excès de la littérature
Et flétrit les auteurs de romans immoraux ;

Le ruban violet orne sa boutonnière
Et lui qui se posait naguère en Charles Moor,
Il couche maintenant avec sa cuisinière
S’avouant satisfait d’un ancillaire amour.

Chaque nuit, dans les draps, couple en rut mais que hante
Incoerciblement la terreur du fœtus,
Avec précaution, le maître et la servante
Échangent des baisers contrôlés par Malthus.

Il grisonne, pourtant ses ruses de satyre
Avivent les langueurs de sa nymphe à l’oignon
Mais, toujours galant homme, à temps, il se retire :
Le jour, il est : « Monsieur » et la nuit : « Gros Mignon ! »

Si tout est bien ainsi que je l’ai voulu croire,
Ami, tombe à genoux et bénis le Seigneur,
Ta pauvre ambition ne rêvait que la gloire ;
Plus clément, le Bon Dieu t’a donné le bonheur !

Georges Fourest

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1 commentaires sur “En passant sur le quai…”

  1. Effarouché

    dit :

    Magnifique poème, mais que l’introduction de l’érotisme vers sa fin souille un peu. Je n’ai pas trouvé que cela soit dans le même ton langoureux et léger du poème. À moins que je n’aie pas compris évidemment.

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