Le serpent qui danse

Charles Baudelaire

Que j’aime voir, chère indolente,
De ton corps si beau,
Comme une étoffe vacillante,
Miroiter la peau !

Sur ta chevelure profonde
Aux âcres parfums,
Mer odorante et vagabonde
Aux flots bleus et bruns,

Comme un navire qui s’éveille
Au vent du matin,
Mon âme rêveuse appareille
Pour un ciel lointain.

Tes yeux, où rien ne se révèle
De doux ni d’amer,
Sont deux bijoux froids où se mêle
L’or avec le fer.

A te voir marcher en cadence,
Belle d’abandon,
On dirait un serpent qui danse
Au bout d’un bâton.

Sous le fardeau de ta paresse
Ta tête d’enfant
Se balance avec la mollesse
D’un jeune éléphant,

Et ton corps se penche et s’allonge
Comme un fin vaisseau
Qui roule bord sur bord et plonge
Ses vergues dans l’eau.

Comme un flot grossi par la fonte
Des glaciers grondants,
Quand l’eau de ta bouche remonte
Au bord de tes dents,

Je crois boire un vin de Bohême,
Amer et vainqueur,
Un ciel liquide qui parsème
D’étoiles mon coeur !

Charles Baudelaire, Les fleurs du mal

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6 commentaires sur “Le serpent qui danse”

  1. Saulnier

    dit :

    C’est très beau…

  2. Sylvain FOULQUIER

    dit :

    Ce merveilleux poème me fait penser à une phrase des « Paradis artificiels » : « la femme est l’être qui projette la plus grande ombre ou la plus grande lumière dans nos rêves ». La vision baudelairienne de la femme, de l’amour et de la poésie annonce la poésie et la peinture surréalistes.

  3. RedMelody

    dit :

    Encore plus beau quand on le chante sur un rythme gainsbourhien et d`une voix suave…
    Riche car il fait vibrer nos 5 sens. Car la poesie ne s`attaque pas qu`a nos oreilles ,-)

  4. digno

    dit :

    J’aime ce poème parce que je le trouve très riche.

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