Je ne peux plus, je ne peux plus, vous voyez bien…
C’est tout ce que je puis.
Et vous me regardez et vous ne faites rien.
Vous dites que je peux, vous dites – aujourd’hui
Comme il y a des jours et des jours – que l’on doit
Lutter quand même et vous ne savez pas
Que j’ai donné toute ma pauvre force, moi,
Tout mon pauvre courage et que j’ai dans mes bras
Tous mes efforts cassés, tous mes efforts trompés
Qui pèsent tant – si vous saviez !
Pourquoi ne pas comprendre ? Au bois des Oliviers
Jésus de Nazareth pleurait, enveloppé
D’une moins lourde nuit que celle où je descends.
Il fait noir. Tout est laid, misérable, écœurant,
sinistre…Vainement, vous tentez en passant
un absurde sourire auquel nul ne se prend.
C’est d’un geste raté, d’une voix sonnant faux
que vous me promettez un secours pour demain.
Demain ! C’est à présent, tout de suite, qu’il faut
une main secourable dans ma main.
Je suis à bout…
C’est tout ce que je peux souffrir, c’est tout.
Je ne peux plus, je ne crois plus, n’espère plus.
Vous n’avez pas voulu,
pas su comprendre, sans pitié
Vous me laissez mourir de ma souffrance… Au moins,
Faites-moi donc mourir comme on est foudroyé
D’un seul coup de couteau, d’un coup de poing –
ou d’un de ces poisons de fakir, vert et or,
Qui vous endorment pour toujours, comme on s’endort
Quand on a tant souffert, tant souffert jour et nuit,
Que rien ne compte plus que l’oubli, rien que lui…
Sabine Sicaud, Les poèmes de Sabine Sicaud, 1958 (Recueil posthume)
Les cris de Sabine nous arrachent le coeur. On voit se secouer sa tête, de droite à gauche, pour dire non, pour dire « délivrez-moi ». Le Christ en croix aussi a secoué la tête, voyant son Père l’abandonner.
On reçoit plein coeur cette poésie brute, ce chant d’agonie virtuose, qui veut bien souffrir et mourir, mais dans la poésie, par la poésie, pour la poésie. A côté de ce cri, de ce cri vital, toute autre poésie, si sublime soit-elle à l’oreille, semble si anodine.