Une enfance

Jean-Pierre Villebramar

il porte avec lui sa colère de dix ans,
l’emmène dans les couloirs lui cogne la tête contre les murs
mais la colère relève la tête et le regarde
alors
il frappe encore et encore contre les murs sa colère jusqu’à ce qu’elle s’effondre
fatiguée
se taise enfin
ferme les yeux et cesse de le regarder

alors il arrête de frapper
de frapper sa colère
de frapper la tête de sa colère contre les murs
fatiguée sa colère arrête de le regarder droit dans les yeux.

J’ai vu, et les autres aussi
cette colère de dix ans qui s’est arrêtée soudain dans les couloirs
tous nous passions sans seulement esquisser un sourire
ç’aurait été bien un sourire
un simple sourire
pour que cesse de le regarder sa colère dans les couloirs de l’Assistance
publique
comme on disait autrefois mais aujourd’hui il n’y a plus d’assistance
ni publique ni privée les éducateurs regardent ils savent qu’il n’y a rien à faire
rien rien à faire
contre une colère de dix ans
qui a recouvert les murs du Foyer
recouvré
les murs des couloirs envahi
le Foyer jusqu’aux plafonds jusqu’aux couloirs elle s’est arrêtée à la porte
la porte de la Liberté
qui est aussi celle de l’enfer.

Il est seul, il a dix ans, et il cogne sa tête contre les murs
cogne cogne cogne sa tête
jusqu’à ce que la colère arrête
arrête de le regarder droit dans les yeux
sa colère et lui seuls
exactement seuls
se regardant bien droit

se taisent enfin
ferment les yeux et cessent

de se regarder

Villebramar, 2013

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1 commentaires sur “Une enfance”

  1. Jo

    dit :

    Une enfance difficile. Passage et maillon intolérable pour démarrer une vie équilibré. L’éducation dans l’amour. Seul vérité.

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