Rêverie sur ta venue

Guillaume Apollinaire

Mon Lou mon Cœur mon Adorée
Je donnerais dix ans et plus
Pour ta chevelure dorée
Pour tes regards irrésolus
Pour la chère toison ambrée

Plus précieuse que n’était
Celle-là dont savait la route
Sur la grand-route du Cathai
Qu’Alexandre parcourut toute
Circé que son Jason fouettait

Il la fouettait avec des branches
De laurier-sauce ou d’olivier
La bougresse branlait des hanches
N’ayant plus rien à envier
En faveur de ses fesses blanches

Ce qu’à la Reine fit Jason
Pour ses tours de sorcellerie
Pour sa magie et son poison
Je te le ferai ma chérie
Quand serons seuls à la maison

Je t’en ferai bien plus encore
L’amour la schlague et cœtera
Un cul sera noir comme un Maure
Quand ma maîtresse arrivera
Arrive ô mon Lou que j’adore

Dans la chambre de volupté
Où je t’irai trouver à Nîmes
Tandis que nous prendrons le thé
Pendant le peu d’heures intimes
Que m’embellira ta beauté

Nous ferons cent mille bêtises
Malgré la guerre et tous ses maux
Nous aurons de belles surprises
Les arbres en fleurs les Rameaux
Pâques les premières cerises

Nous lirons dans le même lit
Au livre de ton corps lui-même
— C’est un livre qu’au lit on lit —
Nous lirons le charmant poème
Des grâces de ton corps joli

Nous passerons de doux dimanches
Plus doux que n’est le chocolat
Jouant tous deux au jeu des hanches
Le soir j’en serai raplapla
Tu seras pâle aux lèvres blanches

Un mois après tu partiras
La nuit descendra sur la terre
En vain je te tendrai les bras
Magicienne du mystère
Ma Circé tu disparaîtras

Où t’en iras-tu ma jolie
À Paris dans la Suisse ou bien
Au bord de ma mélancolie
Ce flot méditerranéen
Que jamais jamais on n’oublie

Alors sonneront sonneront
Les trompettes d’artillerie
Nous partirons et ron et ron
Petit patapon ma chérie
Vers ce qu’on appelle le Front

J’y ferai qui sait des prouesses
Comme font les autres poilus
En l’honneur de tes belles fesses
De tes doux yeux irrésolus
Et de tes divines caresses

Mais en attendant je t’attends
J’attends tes yeux ton cou ta croupe
Que je n’attende pas longtemps
De tes beautés la belle troupe
M’amie aux beaux seins palpitants

Et viens-t’en donc puisque je t’aime
Je le chante sur tous les tons
Ciel nuageux la nuit est blême
La lune chemine à tâtons
Une abeille sur de la crème

Nîmes, le 5 février 1915

Guillaume Apollinaire, Poèmes à Lou

Imprimer ce poème

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *