La guerre

Louise Ackermann

A la mémoire de son neveu, le Lieutenant Victor Fabrègue, tué à Gravelotte

I
Du fer, du feu, du sang ! C’est Elle ! C’est la Guerre !
Debout, le bras levé, superbe en sa colère,
Animant le combat d’un geste souverain.
Aux éclats de sa voix s’ébranlent les armées;
Autour d’elle traçant des lignes enflammées,
Les canons ont ouvert leurs entrailles d’airain
Partout chars, cavaliers, chevaux, masse mouvante !
En ce flux et reflux, sur cette mer vivante,
À son appel ardent l’Épouvante s’abat.
Sous sa main qui frémit, en ses desseins féroces,
Pour aider et fournir aux massacres atroces
Toute matière est arme, et tout homme soldat.

Puis, quand elle a repu ses yeux et ses oreilles
De spectacles navrants, de rumeurs sans pareilles,
Quand un peuple agonise en son tombeau couché,
Pâle sous ses lauriers, l’âme d’orgueil remplie,
Devant l’œuvre achevée et la tache accomplie
Triomphante elle crie à la Mort: bien fauché !

Oui, bien fauché ! vraiment la récolte est superbe;
Pas un sillon qui n’ait des cadavres pour gerbe.
Les plus beaux, les plus forts sont les premiers frappés.
Sur son sein dévasté qui saigne et qui frissonne
L’Humanité, semblable au champ que l’on moissonne,
Contemple avec douleur tous ces épis coupés.

Hélas ! au gré du vent et sous sa douce haleine
Ils ondulaient au loin, des coteaux à la plaine,
Sur la tige encor verte attendant leur saison.
Le soleil leur versait ses rayons magnifiques;
Riches de leur trésor, sous les cieux pacifiques,
Ils auraient pu mûrir pour une autre moisson.

II

Si vivre c’est lutter, à l’humaine énergie
Pourquoi n’ouvrir jamais qu’une arène rougie ?
Pour un prix moins sanglant que les morts que voilà
L’homme ne pourrait-il concourir et combattre ?
Manque-t-il d’ennemis qu’il serait beau d’abattre ?
Le malheureux ! il cherche, et la Misère est là !
Qu’il lui crie: À nous deux ! et que sa main virile
S’acharne sans merci contre ce flanc stérile
Qu’il s’agit avant tout d’atteindre et de percer.
À leur tour, le front haut, l’lgnorance et le Vice,
L’un sur l’autre appuyé, l’attendent dans la lice;
Qu’il y descende donc, et pour les terrasser.

À la lutte entraînez les nations entières.
Délivrance partout ! effaçant les frontières,
Unissez vos élans et tendez-vous la main.
Dans les rangs ennemis et vers un but unique,
Pour faire avec succès sa trouée héroïque,
Certes, ce n’est pas trop de tout l’effort humain.

L’heure semblait propice, et le penseur candide
Croyait, dans le lointain d’une aurore splendide,
Voir de la Paix déjà poindre le front tremblant.
On respirait. Soudain, la trompette à la bouche,
Guerre, tu reparais, plus âpre, plus farouche,
Écrasant le Progrès sous ton talon sanglant.

C’est à qui le premier, aveuglé de furie,
Se précipitera vers l’immense tuerie.
À mort ! point de quartier ! l’emporter ou périr !
Cet inconnu qui vient des champs ou de la forge
Est un frère; il fallait l’embrasser on l’égorge.
Quoi ! lever pour frapper des bras faits pour s’ouvrir !

Les hameaux, les cités s’écroulent dans les flammes.
Les pierres ont souffert, mais que dire des âmes ?
Près des pères les fils gisent inanimés.
Le Deuil sombre est assis devant les foyers vides,
Car ces monceaux de morts inertes et livides
Essaient des cœurs aimants et des êtres aimés.

Affaiblis et ployant sous la tâche infinie
Recommence, Travail ! rallume-toi, Génie !
Le fruit de vos labeurs est broyé, dispersé.
Mais quoi ! tous ces trésors ne formaient qu’un domaine:
C’était le bien commun de la famille humaine.
Se ruiner soi-même, ah ! c’est être insensé !

Guerre, au seul souvenir des maux que tu déchaînes,
Fermente au fond des cœurs le vieux levain des haines;
Dans le limon laissé par tes flots ravageurs
Des germes sont semés de rancune et de rage,
Et le vaincu n’a plus, dévorant son outrage,
Qu’un désir, qu’un espoir: enfanter des vengeurs.

Ainsi le genre humain, à force de revanches,
Arbre découronné, verra mourir ses branches.
Adieu, printemps futurs ! adieu, soleils nouveaux !
En ce tronc mutilé la sève est impossible.
Plus d’ombre, plus de fleurs, et ta hache inflexible,
Pour mieux frapper les fruits, a tranché les rameaux.

III

Non, ce n’est point à nous, penseur et chantre austère,
De nier les grandeurs de la mort volontaire.
D’un élan généreux il est beau d’y courir.
Philosophes, savants, explorateurs, apôtres,
Soldats de l’Idéal, ces héros sont les nôtres;
Guerre, ils sauront sans toi trouver pour qui mourir.
Mais à ce fer brutal qui frappe et qui mutile,
Aux exploits destructeurs, au trépas inutile,
Ferme dans mon horreur, toujours je dirai: Non !
O vous que l’Art enivre ou quelque noble envie,
Qui, débordant d’amour, fleurissez pour la vie,
On ose vous jeter en pâture au canon !

Liberté, Droit, Justice, affaire de mitraille !
Pour un lambeau d’État, pour un pan de muraille,
Sans pitié, sans remords, un peuple est massacré.
Mais il est innocent !- Qu’importe? On l’extermine.
Pourtant la vie humaine est de source divine;
n’y touchez pas; arrière ! un homme, c’est sacré !

Sous des vapeurs de poudre et de sang quand les astres
Palissent indignés, parmi tant de désastres,
Moi-même à la fureur me laissant emporter,
Je ne distingue plus les bourreaux des victimes;
Mon âme se soulève, et devant de tels crimes
Je voudrais être foudre et pouvoir éclater.

Du moins, te poursuivant jusqu’en pleine victoire,
À travers tes lauriers, dans les bras de l’Histoire
Qui, séduite, pourrait t’absoudre et te sacrer,
O Guerre, Guerre impie, assassin qu’on encense,
Je resterai, navrée et dans mon impuissance,
Bouche pour te maudire et cœur pour t’exécrer.

Paris, 8 février 1871

Louise Ackermann, Poésies Philosophiques

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19 commentaires sur “La guerre”

  1. Xavier C.

    dit :

    Je vais le mettre en musique … bientôt. Il y a de la matière pour un triptyque.

  2. masteur

    dit :

    Désolé de vous décevoir tous, mais Arthur Rimbaud est bien meilleur bien que celui là, soit très bon, voir excellent.

  3. Titi

    dit :

    Je suis d’accord avec Clarisse, les guerres serais moins sanglantes et moins nombreuse si la population n’était pas aussi élevées….

  4. ¿_¿

    dit :

    Magnifique Poème, sûrement l’un des meilleurs que je n’ai jamais lus. Mais ce poème est un peu trop long à mon goût

  5. Claris

    dit :

    Trop long pour les uns trop court pour d’autres et pourquoi pas mélodique? mais il est bien dommage que l’humanité ne s’en soit pas inspiré pour éviter les deux conflits mondiaux et tous les génocides qui en ont dérivés depuis… il semble que l’on ait rien trouvé de mieux pour endiguer la démographie galopant sur cette belle terre.

  6. Jose

    dit :

    J’adore les poemes et j’ai beaucoup aimer celui la.
    Vive le francais.

  7. Eltanin

    dit :

    C’était un très beau poème et en le lisent moi aussi je me suis aussi dit qu’il ferait une bonne chanson!!

  8. boo

    dit :

    c’est le meilleur de ce que j’ai lu

  9. lolomasse57

    dit :

    Un peu long mais très interessant

  10. kude

    dit :

    poeme le plus epique que je n’ai jamais lu
    existe t il en musique ? merci d avance

  11. amélie salieri

    dit :

    Magnifique! Même si le sujet est terrible, ce texte est magnifique!

  12. denis

    dit :

    ce texte est très beau malgré qu’il soit trop court a mon gout.

  13. guigui34

    dit :

    j’adore ce poème mais il est très long

  14. sali

    dit :

    malgré sa longueur il est magnifique et intéressant a lire

  15. ioualalen

    dit :

    la cahier de douai est le meilleur pour moi

  16. ioualalen

    dit :

    je kiffe ce poeme

  17. laurine

    dit :

    Votre poène est le meilleur que j’ai lu. Personne, mais vraiment personne, pourrait faire mieux !

  18. Cedra

    dit :

    Le meilleur poème que j’ai lu, c’est ce magnifique poème…

  19. clèm’s

    dit :

    je le trouve super ce poème ! (malgrès cette guerre)

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