Le Démêloir

Théodore de Banville

Quelle est celle-ci qui s’avance comme
l’Aurore lorsqu’elle se lève, qui est belle
comme la Lune et éclatante comme le Soleil,
et qui est terrible comme une armée rangée en
bataille ?

Cantique des cantiques.

Je sais qu’elle est pareille aux Anges de lumière.
Elle a des rayons d’astre éclos sous sa paupière,
Et je vois aux candeurs de son pied calme et pur
Qu’il a marché longtemps sur les tapis d’azur.
Sa bouche harmonieuse et de charme inondée
Semble, à son doux parfum de roses de Judée,
Avoir vidé la coupe aux noces de Cana,
Et chanté dans les cieux le Salve Regina.
Mais ces tempes de marbre et ce sourcil farouche,
La superbe fierté du front et de la bouche,
Ces rougeurs, ce duvet pleins de défis mordants,
L’insolente fraîcheur de ces tons discordants,
Ces ongles lumineux et ces dents de tigresse
A des instants furtifs trahissent la Déesse.
Quand, pareille aux Vénus que je chante en mes vers,
Sous un grand démêloir d’écaille aux reflets verts
Elle fait ruisseler, en sortant de l’alcôve,
Cette ample chevelure à l’or sanglant et fauve,
Quand ses mains de statue achèvent d’y verser
Le flot d’huile épandu, le soleil fait glisser
Sur ces âpres trésors, qu’à loisir elle baigne,
Un rayon rose au bout de chaque dent du peigne.

Février 1844.

Théodore de Banville, Les Stalactites, 1846

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