Les genêts

François Fabié

Les genêts, doucement balancés par la brise,
Sur les vastes plateaux font une boule d’or ;
Et tandis que le pâtre à leur ombre s’endort,
Son troupeau va broutant cette fleur qui le grise ;

Cette fleur qui le fait rêver d’amour, le soir,
Quand il roule du haut des monts vers les étables,
Et qu’il croise en chemin les grands boeufs vénérables
Dont les doux beuglements appellent l’abreuvoir ;

cette fleur toute d’or, de lumière et de soie,
En papillons posée au bout des brins menus,
Et dont les lourds parfums semblent être venus
De la plage lointaine où le soleil se noie…

Certes, j’aime les prés où chantent les grillons,
Et la vigne pendue aux flancs de la colline,
Et les champs de bleuets sur qui le blé s’incline,
Comme sur des yeux bleus tombent des cheveux blonds.

Mais je préfère aux prés fleuris, aux grasses plaines,
Aux coteaux où la vigne étend ses pampres verts,
Les sauvages sommets de genêts recouverts,
Qui font au vent d’été de si fauves haleines.

*
* *

Vous en souvenez-vous, genêts de mon pays,
Des petits écoliers aux cheveux en broussailles
Qui s’enfonçaient sous vos rameaux comme des cailles,
Troublant dans leur sommeil les lapins ébahis ?

Comme l’herbe était fraîche à l’abri de vos tiges !
Comme on s’y trouvait bien, sur le dos allongé,
Dans le thym qui faisait, aux sauges mélangé,
Un parfum enivrant à donner des vertiges !

Et quelle émotion lorsqu’un léger froufrou
Annonçait la fauvette apportant la pâture,
Et qu’en bien l’épiant on trouvait d’aventure
Son nid plein d’oiseaux nus et qui tendaient le cou !

Quel bonheur, quand le givre avait garni de perles
Vos fins rameaux émus qui sifflaient dans le vent,
– Précoces braconniers, – de revenir souvent
Tendre en vos corridors des lacets pour les merles.

*
* *

Mais il fallut quitter les genêts et les monts,
S’en aller au collège étudier des livres,
Et sentir, loin de l’air natal qui vous rend ivres,
S’engourdir ses jarrets et siffler ses poumons ;

Passer de longs hivers dans des salles bien closes,
A regarder la neige à travers les carreaux,
Éternuant dans des auteurs petits et gros,
Et soupirant après les oiseaux et les roses ;

Et, l’été, se haussant sur son banc d’écolier,
Comme un forçat qui, tout en ramant, tend sa chaîne,
Pour sentir si le vent de la lande prochaine
Ne vous apporte pas le parfum familier.

*
* *

Enfin, la grille s’ouvre ! on retourne au village ;
Ainsi que les genêts notre âme est tout en fleurs,
Et dans les houx remplis de vieux merles siffleurs,
On sent un air plus pur qui vous souffle au visage.

On retrouve l’enfant blonde avec qui cent fois
On a jadis couru la forêt et la lande ;
Elle n’a point changé, – sinon qu’elle est plus grande,
Que ses yeux sont plus doux et plus douce sa voix.

 » Revenons aux genêts ! – Je le veux bien ?  » dit-elle.
Et l’on va côte à côte, en causant, tout troublés
Par le souffle inconnu qui passe sur les blés,
Par le chant d’une source ou par le bruit d’une aile.

Les genêts ont grandi, mais pourtant moins que nous ;
Il faut nous bien baisser pour passer sous leurs branches,
Encore accroche-t-elle un peu ses coiffes blanches ;
Quant à moi, je me mets simplement à genoux.

Et nous parlons des temps lointains, des courses folles,
Des nids ravis ensemble, et de ces riens charmants
Qui paraissent toujours si beaux aux coeurs aimants
Parce que les regards soulignent les paroles.

Puis le silence ; puis la rougeur des aveux,
Et le sein qui palpite, et la main qui tressaille,
Au loin un tendre appel de ramier ou de caille…
Comme le serpolet sent bon dans les cheveux !

Et les fleurs des genêts nous font un diadème ;
Et, par l’écartement des branches, haut dans l’air.
Paraît comme un point noir l’alouette au chant clair
Qui, de l’azur, bénit le coin d’ombre où l’on aime !…

Ah ! de ces jours lointains, si lointains et si doux,
De ces jours dont un seul vaut une vie entière,
– Et de la blonde enfant qui dort au cimetière, –
Genêts de mon pays, vous en souvenez-vous ?

François Fabié, Fleurs de genêts

Imprimer ce poème

11 commentaires sur “Les genêts”

  1. Odie Martin

    dit :

    Très émouvant ce poème oublié. Les quelques vers appris à l’école primaire restent inoubliables. Merci.

  2. Gonin raymonde

    dit :

    Moi aussi j’ai appris une partie de ce poème et chaque fois que je vois des genêts je la recite aux personnes qui m’entourent et j’ai 74 ans mais ne l’ai jamais oublié. Merci.

  3. Maurice Renaud

    dit :

    Je n’ai pas appris cette poésie à l’école, mais elle fut transmise par ma mère… Je garde un souvenir attendrissant et nostalgique d’un monde à jamais perdu dominé par une nature non encore dégradée comme nous le constatons aujourd’hui. J’ai 85 ans et je ne comprends pas cette fuite en avant au nom d’un soi-disant progrès…

  4. Colette OPER

    dit :

    J’ai 75 ans, moi aussi j’ai appris une partie de ce poème en primaire, et en ne sachant rien de l’auteur jusqu’à ce jour, je notais « les fauves haleines » du vent d’été à chaque fois que je passais à côté des genêts fleurissant depuis des décennies à l’aplomb de ma plage bretonne de toujours. Merci à François FABIÉ, à l’école républicaine et laïque et… au site Poética !

  5. Puech robert

    dit :

    J’ai 95 ans. J’ai longtemps cherché cette poésie que j’ai prise à l’école primaire. Quel bonheur !

    Robert puech, Senouillac, Tarn

  6. Jeronymos

    dit :

    J’avais 14ans. J’en ai 81. Quel bonheur de relire cette poésie.

  7. SAHUT Denise

    dit :

    Moi aussi, j’ai appris cette poésie à l’école primaire et l’odeur des genêts de Provence qui reste liée à ces vers me ramène inéluctablement au pays de l’enfance. C’est une belle poésie qui s’est gravée dans nos coeurs.

  8. Plana-Maury Ginette

    dit :

    J’ai 73 ans… Je m’en souviens encore ! Aujourd’hui, comme hier, l’odeur de ces genêts, en Bretagne où je vis, comme en Occitanie où je naquis, (comme ce poète Rouergat), reste en moi imprégnée je pense à tout jamais ! Si belle poésie apprise dans l’enfance… « Cette fleur toute d’or, de lumière et de soie, en papillons posés au bout des brins menus, et dont les lourds parfums semblent être venus, de la plage lointaine où le soleil se noie…  » Cela ne s’oublie pas ! « Mais je préfère aux prés fleuris, aux grasses plaines, aux coteaux où la vigne étend ses pampres verts, les sauvages sommets de genêts recouverts, qui font au vent d’été de si fauves haleines. » Merci François Fabié

  9. Lectrice

    dit :

    Sublime

  10. anne-marie grall

    dit :

    Quel plaisir, je retrouve par le plus grand des hasards cette poésie. J’ai 67 ans, je l’avais apprise à l’école primaire, et je cherchais toujours. Par une institutrice, j’avait eu une copie, elle me disait qu’elle était de E. Verhaeren. Mon mari m’a copié 4 strophes (que je retrouve aujourd’hui dans ce poème) sur du papier fleuri du moulin Richard De Bas à Ambert 63 Auvegne. Un vrai bonheur,comme quoi, il ne faut jamais désespérer. A ce jour, la poésie est encadrée et je la vois en permanence.

  11. émile (12 ans)

    dit :

    Splendide, magnifique.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *