Nature morte

Marie Krysinska

À Louis Forain.

Un boudoir cossu :
Les meubles, les tentures et les œuvres d’art, ont la banalité requise.
Et la lampe — soleil à gage — éclaire les deux amants.

Elle est teinte en blonde, car Il n’aime que les blondes.
Lui, a les cheveux de la même nuance que son complet très à la mode

*

Par la fenêtre ouverte on voit un ciel bleu comme une flamme de soufre.
Et la lune, radieuse en ces voiles, flotte vers de fulgurants hymens.

*

Ayant achevé de lire le cours authentique de la Bourse, Il allume un cigare cher — et songe :
« C’est une heure agréable de la journée, celle où l’on SACRIFIE À L’AMOUR. »
Ils se sont rapprochés et causent
DE L’ÉGOÏSME À DEUX, DES ÂMES SŒURS. . .
Lui, bâillant un peu
Elle tâchant à éviter la cendre du cigare.

*

Par la fenêtre ouverte on voit un ciel bleu comme une flamme de soufre,
Et les arbres bercés de nuptiales caresses.

*

Lui, ayant fini son cigare, se penche pour donner un baiser à celle
Qu’au club il appelle « sa maîtresse ».
Il se penche pour lui donner un baiser — tout en rêvant :
« Pourvu que la Banque Ottomane ne baisse pas ! »
Elle, offre ses lèvres pensant à ses fournisseurs
Et leur baiser sonne comme le choc de deux verres vides.

*

Par la fenêtre ouverte on voit un ciel bleu comme une flamme de soufre
Et les oiseaux veilleurs chantent l’immortel Amour
Tandis que de la terre monte une vapeur d’encens
Et des parfums d’Extase.

*

— Si nous fermions — disent-ils — cette fenêtre qui gêne NOTRE EXTASE !

Marie Krysinska, Rythmes pittoresques, 1890

Imprimer ce poème

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *