Le voyage

Emile Verhaeren

Je ne puis voir la mer sans rêver de voyages.

Le soir se fait, un soir ami du paysage,
Où les bateaux, sur le sable du port,
En attendant le flux prochain, dorment encor.

Oh ce premier sursaut de leurs quilles cabrées,
Au fouet soudain des montantes marées !
Oh ce regonflement de vie immense et lourd
Et ces grands flots, oiseaux d’écume,
Qui s’abattent du large, en un effroi de plumes,
Et reviennent sans cesse et repartent toujours !

La mer est belle et claire et pleine de voyages.
A quoi bon s’attarder près des phares du soir
Et regarder le jeu tournant de leurs miroirs
Réverbérer au loin des lumières trop sages ?
La mer est belle et claire et pleine de voyages
Et les flammes des horizons, comme des dents,
Mordent le désir fou, dans chaque coeur ardent :
L’inconnu est seul roi des volontés sauvages.

Partez, partez, sans regarder qui vous regarde,
Sans nuls adieux tristes et doux,
Partez, avec le seul amour en vous
De l’étendue éclatante et hagarde.
Oh voir ce que personne, avec ses yeux humains,
Avant vos yeux à vous, dardés et volontaires,
N’a vu ! voir et surprendre et dompter un mystère
Et le résoudre et tout à coup s’en revenir,
Du bout des mers de la terre,
Vers l’avenir,
Avec les dépouilles de ce mystère
Triomphales, entre les mains !

Ou bien là-bas, se frayer des chemins,
A travers des forêts que la peur accapare
Dieu sait vers quels tourbillonnants essaims
De peuples nains, défiants et bizarres.
Et pénétrer leurs moeurs, leur race et leur esprit
Et surprendre leur culte et ses tortures,
Pour éclairer, dans ses recoins et dans sa nuit,
Toute la sournoise étrangeté de la nature !

Oh ! les torridités du Sud – ou bien encor
La pâle et lucide splendeur des pôles
Que le monde retient, sur ses épaules,
Depuis combien de milliers d’ans, au Nord ?
Dites, l’errance au loin en des ténèbres claires,
Et les minuits monumentaux des gels polaires,
Et l’hivernage, au fond d’un large bateau blanc,
Et les étaux du froid qui font craquer ses flancs,
Et la neige qui choit, comme une somnolence,
Des jours, des jours, des jours, dans le total silence.

Dites, agoniser là-bas, mais néanmoins,
Avec son seul orgueil têtu, comme témoin,
Vivre pour s’en aller – dès que le printemps rouge
Aura cassé l’hiver compact qui déjà bouge –
Trouer toujours plus loin ces blocs de gel uni
Et rencontrer, malgré les volontés adverses,
Quand même, un jour, ce chemin qui traverse,
De part en part, le coeur glacé de l’infini.

Je ne puis voir la mer sans rêver de voyages.
Le soir se fait, un soir ami du paysage
Où les bateaux, sur le sable du port,
En attendant le flux prochain dorment encor…

Oh ce premier sursaut de leurs quilles cabrées
Aux coups de fouet soudains des montantes marées !

Emile Verhaeren, Les forces tumultueuses, 1902

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16 commentaires sur “Le voyage”

  1. Michel

    dit :

    Extraordinaire poème !

  2. Oscar

    dit :

    C’est vrai moi je voudrais savoir ce que signifie cette phrase. J’ai aussi une question dans ce genre au collège.

  3. Raphaël

    dit :

    J’étudie ce poème au collège. Notre professeur nous demande ce que signifie « l’inconnu est seul roi des volontés sauvages ». Si quelqu’un pouvait me répondre ce serait super! Merci

  4. Gateaux ;)

    dit :

    Je suis en train d’étudier ce poème en classe et, dans ce poeme, Verhaeren nous dit qu’il ne faut pas rester chez nous a ne rien faire mais qu’il faut partir, découvrir les mystères de l’inconnu, et cela, sans aucun regrets, sans aucune tristesse mais seulement avec la passion de la découverte : « Partez partez, sans regarder qui vous regarde, sans nuls adieux triste et doux, partez avec le seul amour en vous de l’étendue éclatante et hagarde. ». Il compare la mer a une femme magnifique que l’on ne connait pas mais qu’il faut découvrir; et c’est cette découverte avec laquelle on revient « triomphale, entre les mains » !

  5. Clair

    dit :

    Moi aussi je voudrais savoir pourquoi doit-on partir ? C’est une question de mes exercices et je ne sais pas.

  6. Une Critique

    dit :

    Le poème est beau. Il veut nous faire détacher des biens qui nous tienne pour nous faire voyager dans le vaste monde et découvrir un trésor qu’il soit matériel ou mentale dont nous n’aurions pas pu même imaginer, que nous avons qu’une vie alors à quoi bon s’arrêter sur les rivages à vivre une vie monotone ?

  7. Château

    dit :

    J’aimerais savoir pourquoi faut-il partir je cite « partez partez, sans regarder qui vous regarde triste et doux, Partez avec le seul le seul amour en vous De l’étendue éclatante et hagarde. » ? Voilà mon commentaire. J’espère que quelqu’un va me répondre dans de brefs délais. Merci

  8. Camille Lustremant

    dit :

    J’aime beaucoup, mais je le trouve un peu long. Je vais l’utiliser pour mon recueil de poèmes au collège.

  9. Oumou

    dit :

    C’est un très beau poème. Nous l’avons appris au collège. Mais je me demande s’il est vrai. Sinon je trouve que c’est un très beau poème.

  10. Justin

    dit :

    Moi je l’apprends au collège

  11. Alyoune Ould weiss

    dit :

    C est beau

  12. saguez-lopez

    dit :

    Moi, je l’aime bien ce poème. Je l’ai appris au college.

  13. Marco

    dit :

    C’est un très beau et magnifique poème. Dommage qu’il est un (petit) peu long, sinon il nous fait beaucoup voyager dans l’imaginaire, ce qui le rend merveilleux !

  14. Lilou

    dit :

    C’est irréel

  15. Melode

    dit :

    Ben non tout le monde sait qu’une poésie, un poème, la plus part du temps c’est irréelle ou imaginaire. Bon après ça c’est mon avis donc je ne sais pas.

  16. laura

    dit :

    Est-il vrai ?

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