Les fleurs

Stéphane Mallarmé

Des avalanches d’or du vieil azur, au jour
Premier et de la neige éternelle des astres
Jadis tu détachas les grands calices pour
La terre jeune encore et vierge de désastres,

Le glaïeul fauve, avec les cygnes au col fin,
Et ce divin laurier des âmes exilées
Vermeil comme le pur orteil du séraphin
Que rougit la pudeur des aurores foulées,

L’hyacinthe, le myrte à l’adorable éclair
Et, pareille à la chair de la femme, la rose
Cruelle, Hérodiade en fleur du jardin clair,
Celle qu’un sang farouche et radieux arrose !

Et tu fis la blancheur sanglotante des lys
Qui roulant sur des mers de soupirs qu’elle effleure
A travers l’encens bleu des horizons pâlis
Monte rêveusement vers la lune qui pleure !

Hosannah sur le cistre et dans les encensoirs,
Notre Dame, hosannah du jardin de nos limbes !
Et finisse l’écho par les célestes soirs,
Extase des regards, scintillement des nimbes !

Ô Mère qui créas en ton sein juste et fort,
Calices balançant la future fiole,
De grandes fleurs avec la balsamique Mort
Pour le poète las que la vie étiole.

Stéphane Mallarmé, Vers et Prose, 1893

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2 commentaires sur “Les fleurs”

  1. Vates

    dit :

    « Je dis : une fleur ! et, hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour, en tant que quelque chose d’autre que les calices sus, musicalement se lève, idée même et suave, l’absente de tous bouquets. » (Crises de vers, Mallarmé)

  2. Maurice Tetne

    dit :

    Ce texte de Mallarmé foisonne de thèmes et de cris, voilés parfois dans un lyrisme morne que l’auteur veut toutefois porter à l’entendement de son lectorat. L’expression « Jadis » nous ramène dans un passé lointain, presque inaccessible (sauf de mémoire de poète). Le monde d’alors (jadis) était riche en couleurs. Ce monde semble avoir subi l’usure du temps, ou mieux un désastre, car l’expression « La terre jeune encore et vierge de désastre » sous-entend qu’entre « jadis » et le moment de l’énonciation, cette terre de rêves aurait pu subir un certain désastre. Devenue peut-être indigne pour le poète qui erre et « que la vie étiole », le loisir et le salut ne se retrouverait que dans ce décor dans lequel il peut de nouveau se replonger, bercé au son du « cistre » et sous les « Hosannah » de « Notre Dame ». La mort, plutôt que d’être source de chagrin, serait libératrice pour un poète las de la vie.

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