Les cierges

Emile Verhaeren

Ongles de feu, cierges ! – Ils s’allument, les soirs,
Doigts mystiques dressés sur des chandeliers d’or,
A minces et jaunes flammes, dans un décor
Et de cartels et de blasons et de draps noirs.

Ils s’allument dans le silence et les ténèbres,
Avec le grésil bref et méchant de leur cire,
Et se moquent – et l’on croirait entendre rire
Les prières autour des estrades funèbres.

Les morts, ils sont couchés très longs dans leurs remords
Et leur linceul très pâle et les deux pieds dressés
En pointe et les regards en l’air et trépassés
Et repartis chercher ailleurs les autres morts.

Chercher ? Et les cierges les conduisent ; les cierges
Pour les charmer et leur illuminer la route
Et leur souffler la peur et leur souffler le doute
Aux carrefours multipliés des chemins vierges.

Ils ne trouveront point les morts aimés jadis,
Ni les anciens baisers, ni les doux bras tendus,
Ni les amours lointains, ni les destins perdus ;
Car les cierges ne mènent pas en paradis.

Ils s’allument dans le silence et les ténèbres,
Avec le grésil bref et méchant de leur cire
Et se moquent – et l’on entend gratter leur rire
Autour des estrades et des cartels funèbres.

Ongles pâles dressés sur des chandeliers d’or !

Emile Verhaeren, Les bords de la route

 

 

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