A Mme Lullin

Voltaire

A Mme Lullin

Hé quoi ! vous êtes étonnée
Qu’au bout de quatre-vingts hivers,
Ma Muse faible et surannée
Puisse encor fredonner des vers ?

Quelquefois un peu de verdure
Rit sous les glaçons de nos champs ;
Elle console la nature,
Mais elle sèche en peu de temps.

Un oiseau peut se faire entendre
Après la saison des beaux jours ;
Mais sa voix n’a plus rien de tendre,
Il ne chante plus ses amours.

Ainsi je touche encor ma lyre
Qui n’obéit plus à mes doigts ;
Ainsi j’essaie encor ma voix
Au moment même qu’elle expire.

« Je veux dans mes derniers adieux,
Disait Tibulle à son amante,
Attacher mes yeux sur tes yeux,
Te presser de ma main mourante. »

Mais quand on sent qu’on va passer,
Quand l’âme fuit avec la vie,
A-t-on des yeux pour voir Délie,
Et des mains pour la caresser ?

Dans ce moment chacun oublie
Tout ce qu’il a fait en santé.
Quel mortel s’est jamais flatté
D’un rendez-vous à l’agonie ?

Délie elle-même, à son tour,
S’en va dans la nuit éternelle,
En oubliant qu’elle fut belle,
Et qu’elle a vécu pour l’amour.

Nous naissons, nous vivons, bergère,
Nous mourons sans savoir comment ;
Chacun est parti du néant :
Où va-t-il ?… Dieu le sait, ma chère.

Voltaire (François Marie Arouet)

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7 commentaires sur “A Mme Lullin”

  1. EDITH

    dit :

    Je ne pensais pas me réjouir si tôt ce matin…entre Voltaire et Alex… entre les commentaires judicieux de Basil et Bénédicte ! De la joie pour la journée

  2. Edith Dubreuilh

    dit :

    Je ne pensais pas de si bon matin me réjouir autant, entre Voltaire et Alex, entre les commentaires…de Basil et Bénédicte. Ah vieillesse !

  3. Bénédicte

    dit :

    Merci Alex, un grand merci. Pour un jour de deuil, j’ai eu besoin de lire Voltaire. Ah, mais vous ne doutez de rien, vous vous adressez à Voltaire (qui rime avec Lumière) en lui disant que c’est un bon « brouillon ». Vous poussez le bouchon jusqu’à sous-entendre que vous pourriez lui filer un coup de main pour arranger sa copie. C’est fabuleux, du miel, je me régale. Ah bravo, vous avez réussi à me faire pleurer… de rire. Et merci à Basil qui a eu le mot juste, idoine, approprié. Je suis prête à penser que lui aussi a bien du rire.

    Ce poème est sublime, si d’aucuns y voient un ressentiment, je ne le vois pas. Voltaire est factuel, parler d’amour pendant que l’on s’éteint est dérisoire, mal placé, incongru; Voltaire va jusqu’au trait d’humour :

    « Quel mortel s’est jamais flatté
    D’un rendez-vous à l’agonie »

  4. max

    dit :

    Très bel aperçu tout en poésie de ce que peut être son ressentiment en fin de vie.

  5. Laura

    dit :

    Je voudrais savoir quand est ce que Voltaire l’a publié pour la premiere fois. Merci

  6. basil

    dit :

    Tu parlais à qui alex ? Car si c’est à l’auteur, c’est un peu « mort » !

  7. alex

    dit :

    Ok moi, je ne sais pas ce que vous voulez dire, mais j’ai bien aimé. Moi aussi j’écris des poémes. Moi perso je vous conseille de le retravailler…

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