La Mort et le Bûcheron

Jean de La Fontaine

Un pauvre Bûcheron, tout couvert de ramée,
Sous le faix du fagot aussi bien que des ans
Gémissant et courbé, marchait à pas pesants,
Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée.
Enfin, n’en pouvant plus d’effort et de douleur,
Il met bas son fagot, il songe à son malheur,
Quel plaisir a-t-il eu depuis qu’il est au monde ?
En est-il un plus pauvre en la machine ronde ?
Point de pain quelquefois, et jamais de repos.
Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,
Le créancier et la corvée
Lui font d’un malheureux la peinture achevée.
Il appelle la Mort. Elle vient sans tarder,
Lui demander ce qu’il faut faire.
« C’est, dit-il, afin de m’aider
À recharger ce bois ; tu ne tarderas guère. »

Le trépas vient tout guérir ;
Mais ne bougeons d’où nous sommes :
Plutôt souffrir que mourir,
C’est la devise des hommes.

Jean de La Fontaine

 

 

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9 commentaires sur “La Mort et le Bûcheron”

  1. Jean-Paul Thomas

    dit :

    Dix-septième siècle: la résignation individuelle est vertu. Les siècles suivants inviteront les masses à la révolte. A posteriori, on serait en droit d’attendre du pauvre bûcheton le rejet du destin qui l’accable: « Allons enfants de la patrie… »

  2. COUSINIÉ Patrick

    dit :

    Tout a fait par hasard je tentais de dessiner une aquarelle pour occuper mes heures à la retraite. Le sujet est le bucheron et la mort de Jean de La Fontaine. Par curiosité je suis allé lire cette poésie. Quelle a été ma surprise de trouver des similitudes avec cette étape qu’est la retraite après une vie très active voir trepidente. Pas si dure que la maladie évidemment mais étonnamment morne. Une fois lue une grande sérénité m’a envahie. Merci Monsieur de La Fontaine. Merci au hasard. Merci mon Dieu d’avoir retrouvé le courage de porter mon fardeau. Amitiés à tous…

  3. Inès castells

    dit :

    J’ai adoré cette fable, merci beaucoup.

  4. Richez

    dit :

    Cette fable est d’une autre envergure que « la cigale et la fourmi » tant appréciée du commun des Français. Elle hisse La Fontaine au rang des grands philosophes à la recherche du sens de la vie dans un effort pour emporter l’assentiment de ceux qui ont un moment de doute, d’envie de suicide. Là, se trouve la leçon: la vie est un bien supérieur à tout autre plaisir, à toute autre richesse. Une réflexion un peu approfondie fait reprendre le contact avec un jugement plus universel, avec la devise de toute créature vivante, avec nos devoirs de créature consciente. Elle est l’hymne universaliste de tout ce qui est doué d’existence consciente, à hurler en face de tout suicidaire. Hélas, nous n’avons pas le génie de La Fontaine pour la réactualiser un peu.

  5. lucenthos

    dit :

    Les quatre premiers vers sont une magnifique description, un vrai tableau de maître que des dessinateurs et graveurs depuis le XVIIe n’ont pas manqué d’illustrer avec talent. Mais ici l’écriture se suffit à elle-même tant le choix des mots et des expressions évoque d’emblée la pénibilité de ce vieil homme tenu d’exercer pour sa survie et celle des siens, un métier exténuant.

    À cette scène très animée succède celle de la réflexion sur la condition des humbles telle qu’elle sévissait en ce fabuleux XVIIe siècle qui, sous la gloire des ors et des grandes fêtes versaillaises, cachait une abominable misère paysanne aggravée par de fréquentes disettes et une exploitation éhontée. Le travailleur de force y fait son bilan. Ce bilan est négatif que résume le vers : « Quel plaisir a-t-il eu depuis qu’il est au monde ? ». Point de plaisir, que de la peine. C’est l’époque où il fallait travailler plus pour gagner presque rien… C’est bien une condition d’accablement, à l’opposé de ce que tout être humain était en droit d’attendre de la vie.

    La seule solution à cette condition extrême serait que tout cela prenne fin. La mort.

    C’est ici le tournant de la fable avec un court sketch de quatre vers dans lequel La Fontaine excelle dans l’art du raccourci avec l’effet comique et le ressaisissement inattendu du bûcheron. Demander à la mort, même personnifiée, et dont la seule fonction est de mettre un terme à la vie, de recharger un fagot de bois, ne peut qu’entraîner l’hilarité en même temps que cela traduit le désemparement de l’être humain mis brusquement en sa présence. Grande habileté du poète qui semble ici détourner le regard du vrai problème avec une certaine désinvolture ? Ou bien cela traduit-il sa véritable pensée sur la mort ? Quelle autre fin pouvait- il imaginer ? La Fontaine a-t-il voulu éluder une fin tragique qui aurait fait de cette fable l’illustration d’une situation totalement désespérée ? Cela aurait été en contradiction avec sa pensée sur la mort qu’illustre la maxime finale laquelle, sans traduire un grand optimisme vu ce qui précède, laisse une place à la vie aussi difficile qu’elle soit. Et sa conclusion est :

    « Le trépas vient tout guérir ;
    Mais ne bougeons d’où nous sommes :
    Plutôt souffrir que mourir,
    C’est la devise des hommes. »

    Pouvons-nous être entièrement d’accord avec cette conclusion qui d’abord semble affirmer une évidence de fait à savoir que la mort met fin à tous les maux mais, aux yeux du poète La Fontaine, amoureux de la vie et plutôt épicurien, cette solution radicale aurait été pire que le mal qu’elle prétendrait guérir ! Alors reflète-t-elle son opinion très personnelle sur le sujet qu’il présente comme une vérité universelle dans la maxime finale : « Plutôt souffrir que mourir, C’est la devise des hommes » ?

    À mon avis, elle ne peut pas s’appliquer également à tous les cas de figures car une souffrance physique trop intense comme un tourment moral trop accablant, peuvent hélas conduire à des actes irréparables. C’est pour cela que certaines personnes qui souffrent atrocement dans leur corps comme dans leur âme, veulent mettre fin à leurs jours et c’est tout à fait en opposition à l’idée que souffrir vaut mieux que mourir. C’est bien malheureux, c’est bien tragique mais le fait est là, même si bon nombre de ceux et celles qui peinent, ont la capacité ou la volonté de faire face à la difficulté même dans le malheur. Pour autant, on ne peut juger ceux ou celles qui se sentant écrasés par l’épreuve, n’aspirent qu’à mettre fin à une souffrance devenue insupportable.

    Sans doute pour mieux comprendre cette conclusion assez paradoxale, faudrait-il avoir une plus ample représentation de la pensée de La Fontaine concernant la mort. Cette seule fable pourtant remarquable par toutes ses qualités littéraires ne l’exprime pas complètement. Le thème n’a cessé de l’interpeller et il le reprend dans de nombreux textes. On y voit que son sentiment devant la mort est plutôt celui d’un épicurisme bien tempéré fait à la fois de lucidité et d’insouciance. Néanmoins au fur et à mesure qu’il avance en âge, cette insouciance va faire place à une plus grande appréhension de la finitude humaine que seule la croyance religieuse viendra quelque peu apaiser.

  6. YVES

    dit :

    Une fable que je me récite, parmi d’autres lors de réveils nocturnes

  7. GRANDYS

    dit :

    Malgré un cancer du sein opéré et un douloureux tassement des vertèbres (douloureux), ce poème m’aide à continuer à vivre.

  8. Rogatien HOUNKPE

    dit :

    J’ai tellement aimé ce poésie…

  9. Madeleine

    dit :

    Cette poésie superbe ! Même si j ai pas tout compris.

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