Lorsque l’enfant paraît

Victor Hugo

Lorsque l’enfant paraît, le cercle de famille
Applaudit à grands cris ; son doux regard qui brille
Fait briller tous les yeux,
Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être,
Se dérident soudain à voir l’enfant paraître,
Innocent et joyeux.

Soit que juin ait verdi mon seuil, ou que novembre
Fasse autour d’un grand feu vacillant dans la chambre
Les chaises se toucher,
Quand l’enfant vient, la joie arrive et nous éclaire.
On rit, on se récrie, on l’appelle, et sa mère
Tremble à le voir marcher.

Quelquefois nous parlons, en remuant la flamme,
De patrie et de Dieu, des poètes, de l’âme
Qui s’élève en priant ;
L’enfant paraît, adieu le ciel et la patrie
Et les poëtes saints ! la grave causerie
S’arrête en souriant.

La nuit, quand l’homme dort, quand l’esprit rêve, à l’heure
Où l’on entend gémir, comme une voix qui pleure,
L’onde entre les roseaux,
Si l’aube tout à coup là-bas luit comme un phare,
Sa clarté dans les champs éveille une fanfare
De cloches et d’oiseaux !

Enfant, vous êtes l’aube et mon âme est la plaine
Qui des plus douces fleurs embaume son haleine
Quand vous la respirez ;
Mon âme est la forêt dont les sombres ramures
S’emplissent pour vous seul de suaves murmures
Et de rayons dorés !

Car vos beaux yeux sont pleins de douceurs infinies,
Car vos petites mains, joyeuses et bénies
N’ont point mal fait encor ;
Jamais vos jeunes pas n’ont touché notre fange ;
Tête sacrée ! enfant aux cheveux blonds ! bel ange
À l’auréole d’or !

Vous êtes parmi nous la colombe de l’arche.
Vos pieds tendres et purs n’ont point l’âge où l’on marche ;
Vos ailes sont d’azur.
Sans le comprendre encor, vous regardez le monde.
Double virginité ! corps où rien n’est immonde,
Âme où rien n’est impur !

Il est si beau, l’enfant, avec son doux sourire,
Sa douce bonne foi, sa voix qui veut tout dire,
Ses pleurs vite apaisés,
Laissant errer sa vue étonnée et ravie,
Offrant de toutes parts sa jeune âme à la vie
Et sa bouche aux baisers !

Seigneur ! préservez-moi, préservez ceux que j’aime,
Frères, parents, amis, et mes ennemis même
Dans le mal triomphants,
De jamais voir, Seigneur ! l’été sans fleurs vermeilles,
La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles,
La maison sans enfants !

Victor Hugo, Les feuilles de l’Automne, XIX

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19 commentaires sur “Lorsque l’enfant paraît”

  1. Catherine

    dit :

    Ce soir même, un petit souvenir jaillissant de l’inconscient ! en regardant mon petit fils me fit entendre dans ma tête ce loin poème de ma propre enfance, et je dis à ma fille les premiers vers… « lorsque l’enfant paraît ». Je lui envoie un texte du poème et lui demande de le traduire de l’anglais. Elle est presque bilingue. Mais, regard son enfant… elle comprend déjà…

  2. KALACH Gracia

    dit :

    J’aurai 80 ans dans un mois. J’ai appris ce poème au Lycée Franco Arabe de Damas. Lorsque j’ai entendu les premiers mots de ce merveilleux poème je l’ai récité d’un seul trait. V. Hugo était et restera mon poète et écrivain préféré.

  3. Frère Henri

    dit :

    J’ai appris ce poème j’avais 14 ans. J’en ai maintenant 76 ans et je m’en souviens toujours.

  4. saintixe56

    dit :

    Le premier poème que j’ai entendu. Récité par ma grand-mère. D’autant plus doux qu’il me fut cruellement prémonitoire.

  5. Josie Wetzels

    dit :

    Magnifique et émouvant poème que nous avait apprendre en classe ma maîtresse d’école quand j’avais 14 ans. Aujourd’hui encore, lorsque sont nés chacun de mes petits enfants, ont raisonner avec force et émotion dans ma tête en me penchant sur leur berceau ces vers « Lorsque l’enfant paraît le cercle de famille Applaudit à grands cris »! Merci Victor Hugo

  6. Derek Madden

    dit :

    J’ai étudié cette poème lorsque j’avais 19 ans, en première année de ma licence en langues modernes à Londres… J’ai 76 ans maintenant et le relis avec un grand plaisir et surtout une compréhension que je ne pouvais éprouver à l’âge de 19 ans. Quelle belle poésie… si vraie, si actuelle… et éternelle.

  7. JULIEN

    dit :

    Lorsque l’enfant disparaît

    Après un long combat, quand disparaît l’enfant,
    Le cercle de famille et ses amis s’affligent,
    Les fronts les plus heureux, les plus vivants se figent
    Et les cœurs vouent leur haine au trépas triomphant.

    On évoque en pleurant son destin éphémère,
    Son premier cri, ses premiers pas, ses dents de lait,
    Puis en souriant timidement, ses mots drôlets,
    Enfin l’espoir inquiet, les déceptions amères.

    Certains, sous l’impulsion d’un chagrin étouffant,
    Et bien qu’ils soient ancrés dans l’incroyance extrême,
    Disent une prière au sort qui les pourfend :

    « Étoiles, bonnes fées, veillez sur ceux qu’on aime,
    Nos parents, nos amis et nos ennemis même,
    Mais surtout, avant tout, veillez sur nos enfants ».

    Guy J pour Clément, le 13 03 2023

  8. Emma

    dit :

    Tout comme vous toutes, tous … je relis ce poème avec grande émotion, j’ai une affection particulière pour ce Grand Poète Victor Hugo qui savait si bien restituer tout sentiment, mon premier auteur lu ! Ce poème souligne aussi l’immense bonheur d’avoir des enfants, petits-enfants, arrière … Belle journée à vous et vos lecteurs ! Merci !

  9. Lucy

    dit :

    Bonjour à Tous,
    En faisant du rangement je viens de tomber sur le cahier de poésies de ma mère où elle avait copié, dans les années 1936, d’une calligraphie tellement impeccable qu’on a du mal en 2022 à réaliser que cela soit écrit de la main d’une enfant de 14 ans, ce célèbre poème de Victor Hugo – Que de changements en 86 ans ! On n’a plus gère l’occasion de calligraphier hormis lors de stages dédiés et chez des professeurs des écoles puristes, et chez des réactionnaires comme moi qui continuent à envoyer leurs voeux manuscritement brodés au point de croix – l’accueil d’un nouveau-né à l’époque de Victor Hugo était empreint de gravité, de révérence et souvent d’un sentiment de gratitude, religieuse ou pas, à une époque où la mortalité infantile était importante et où la surpopulation mondiale n’existait pas – il arrive encore aujourd’hui que l’on entrevoit cette lueur de sacré dans le regard embué d’un papy ou d’une mamy et c’est un moment de grâce à ne pas rater.

  10. Jeannine Corneau

    dit :

    J’ai récité ce magnifique poème sur une scène à Arvida, j’avais 18 ans! Je viens de le réciter pour la deuxième fois en l’honneur de mon arrière petit-fils et j’a 93 ans! Quelle grâce!

  11. Catherine COSQUER

    dit :

    Tout n’est que joie et espoir mais « ouvrons, ouvrons la cage aux oiseaux ».

  12. Asterix

    dit :

    C’est tellement ça. Les enfants sont ce que nous avons de plus sacré.

  13. salhi.chafik12@Gmail.com

    dit :

    L’enfant est ange

  14. Alexia

    dit :

    L’enfant a toujours été mon poème préféré. J’enseignerai ce poème un jour à mon enfant. Il est tellement beau…

  15. Jean

    dit :

    J’aime ce poème qui me rappelle ma jeunesse… La seule chose que je n’aime pas est « La cage sans oiseaux »… Personnellement je préfère une cage sans oiseaux…

    PS: désolé pour les accents, j’habite en Australie

  16. Natalice

    dit :

    Mon dieu, que ce poème est beau…que d’émotions à le lire, le relire, le redécouvrir…

  17. Colette

    dit :

    Quel beau souvenir, c’était la récitation du certificat d’étude, un peu long à l’époque de mes 14 ans en 55. Le temps est passé et je m’en souviens encore pas en entier.

  18. CUONG DUY TRUONG

    dit :

    Merveilleux poème. C’est une belle poésie de toute époque. J’aime lire Victor Hugo « forever ». Merci beaucoup!

  19. chaima

    dit :

    Merveilleux

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