Abel et Caïn

Charles Baudelaire

I

Race d’Abel, dors, bois et mange ;
Dieu te sourit complaisamment.

Race de Caïn, dans la fange
Rampe et meurs misérablement.

Race d’Abel, ton sacrifice
Flatte le nez du Séraphin !

Race de Caïn, ton supplice
Aura-t-il jamais une fin ?

Race d’Abel, vois tes semailles
Et ton bétail venir à bien ;

Race de Caïn, tes entrailles
Hurlent la faim comme un vieux chien.

Race d’Abel, chauffe ton ventre
À ton foyer patriarcal ;

Race de Caïn, dans ton antre
Tremble de froid, pauvre chacal !

Race d’Abel, aime et pullule !
Ton or fait aussi des petits.

Race de Caïn, cœur qui brûle,
Prends garde à ces grands appétits.

Race d’Abel, tu croîs et broutes
Comme les punaises des bois !

Race de Caïn, sur les routes
Traîne ta famille aux abois.
II

Ah ! race d’Abel, ta charogne
Engraissera le sol fumant !

Race de Caïn, ta besogne
N’est pas faite suffisamment ;

Race d’Abel, voici ta honte :
Le fer est vaincu par l’épieu !

Race de Caïn, au ciel monte,
Et sur la terre jette Dieu !

Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, 1857

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13 commentaires sur “Abel et Caïn”

  1. laurence langlois

    dit :

    Faut savoir. C’est Abel ou Cain qui va se faire f****e ! Non mais sérieux quoi !

  2. Yliann ERROUFY

    dit :

    Le rapport avec le parcours associe de l’alchimie poétique la boue et l’or.

  3. selim

    dit :

    L’amer cain s’oxyde dans l’ouest..

  4. Antoine

    dit :

    Le sens de ce poème est politique et réfère aux évènements de 1848. Comme l’évocation de cette révolte est interdite sous Bonaparte, Baudelaire mobilise le champ lexical de la presse des années 1840. « Race de Cain » et « race d’Abel » sont les anathèmes que s’adressent bourgeois et prolétaires à travers les journaux de l’époque. La bourgeoisie, ayant affaire à un prolétariat rétif et combattif, nomme la classe ouvrière « race de Caïn »: une race d’envieux et de criminels (dans cette période, la bourgeoisie tend à racialiser le prolétariat, notamment avec la phrénologie de Broussais). En réponse les ouvriers en lutte reprennent cette injure à leur compte et nomment la bourgeoisie « race d’Abel »: la race des privilégiés et des accapareurs. La référence aux classes sociales est assez claire dans le poème de Baudelaire (misère de la race de Cain dont « les entrailles hurlent la faim », prospérité rentière de la race d’Abel dont « l’or aussi fait des petits »). Le « fer vaincu par l’épieu » est une référence aux révoltes paysannes qui désigne métonymiquement toutes les révoltes des exploités, c’est la victoire de la Révolution et le rêve d’une insurrection de 1848 triomphante. ‘Race de Cain, …ta besogne n’est pas faite suffisamment » et « monte au ciel et jette Dieu sur terre » sont des invitations à reprendre les armes. . Ce champ lexical est encore présent dans la mémoire des contemporains de Baudelaire et, pour les lecteurs de 1857, l’ancrage politique des Fleurs du mal, bien qu’implicite, est évident. C’est ce qui explique l’acharnement judiciaire contre ce recueil : derrière la condamnation pour « outrage à la morale », il y a une réponse politique à l’entretien d’une mémoire. Sur la manière dont les auteurs de cette période, notamment Baudelaire et Flaubert, mobilisent le champ lexical des luttes sociales pour les saluer et les encourager dans une période de censure, on peut lire le remarquable ouvrage de Dolf Oehler : 1848, Le Spleen contre l’oubli.

  5. Lasagne ultime

    dit :

    Magnifique poème variant les octosyllabes, heptasyllabe, ennéasyllabe, etc. Mais assez étrange : le simple fit d’inverser des rôles… Je ne comprend pas très bien…

  6. Micho Thi

    dit :

    Le premier crime de l’Humanité relaté en distiques. (Caïn tua Abel par jalousie).
    Partie I: Abel est montré en être simple et pur et Caïn en être abject.

    Partie II: les conséquences de cet acte. Abel a engraissé la Terre en laissant le Bien et Caïn a laissé sa progéniture perpétrer son crime pour la nuit des temps et la Mal.

    Le dernier distique est là qui rappelle à Caïn qu’il n’a pas ou n’a peut-être pas pu éliminer Dieu.

  7. Lucrèce

    dit :

    Il est facile de comprendre mais plus compliqué d’enseigner. Surtout lorsque vous jugez vos élèves comme des simplets. Sachez mon chers Narcisse faire preuve d’un peu plus d’humilité. Je tiens néanmoins à vous rassurer, la rédaction de ces quelques lignes que vous nous avez partagées. Resteront aussi utiles qu’un intellectuel incapable de philosopher. En vous souhaitant une excellente journée.

  8. Patrique CHAUTTE

    dit :

    Un poème pour simplet. Je m’explique :

    Il est clair que si l’on inverse la proposition de Baudelaire, Cain devient Abel et Abel Cain, et l’on découvre alors un poème prophétique qui illustre presque un siècle plus tard l’univers fantasque d’une humanité concentrationnaire. Même un imbécile aurait pu le voir. Un manque de complexité qui me fait regretter d’avoir perdu mon temps à lire ces quelques lignes.

  9. Enzo

    dit :

    Quel est le sens de ce poème ?

  10. sghairi

    dit :

    Bonjour, quel sens a le mot épieu dans cette poésie?

  11. Martin

    dit :

    Mon Dieu ! Quelle vérité qui décrit si bien notre monde actuel et peut être ce qui l’attend et…. que Dieu vienne voir un peu ici ce qui se passe !

  12. kamla bellahcene

    dit :

    C’est un hommage à un monsieur, de la santé, effaré des : blouses noires des corbeaux tatoués sur la nuque, et que, hélas, je n’ai pu remercier de sa bonté…

  13. Serge Richard

    dit :

    Si vous inversez la proposition de Baudelaire, Cain devient Abel et Abel Cain, et vous découvrirez un poème prophétique qu’illustrera presque un siècle plus tard l’univers fantasque d’une humanité concentrationnaire.

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